Au cœur de la brousse en folie : le vivre ensemble calédonien
Depuis 1983, les Calédoniens se délectent des personnages truculents croqués par Bernard Berger, l’auteur de la bande dessinée “La Brousse en folie”. Après 23 albums et 30 ans d’histoires, Bernard Berger nous entraîne sur les pas de ces personnages qui l’ont inspiré. Derrière l’humour, on découvre un destin commun qui lie définitivement les habitants du Caillou. Pour Jenny Briffa, réalisatrice calédonienne et coproductrice du film, elle tenait là son sujet. Rencontre.
Comment décide-t-on de faire un film sur une bande dessinée ?
Canal + Nouvelle Calédonie nous avait demandé de lui proposer un sujet avec du fond, mais tout de même léger et basé sur l’idée d’une découverte du pays. Gweltaz Kergoat, avec qui je travaille, a alors proposé de faire quelque chose sur “La Brousse en folie”. En appelant Bernard Berger, il nous a appris que la bande dessinée allait fêter ses 30 ans. Le timing était parfait. Pour ma part, mon côté journaliste de formation faisait que je ne voulais pas seulement me balader dans la brousse avec Bernard et me marrer avec les broussards, je voulais qu’on aille plus loin. Car en réalité, les personnages de la bande dessinée ont vraiment évolué. Il faut rappeler qu’au début, les planches étaient publiées dans un journal de droite, le positionnement a, depuis, changé.
Cette évolution correspond à l’évolution de la société calédonienne ?
Oui, je trouve qu’à travers cette BD, on voit l’évolution de la société calédonienne sur ces trente dernières années. On voit l’évolution du Pays, la relation entre Kanak, caldoche, vietnamien et métropolitains. Dans les premiers albums, Bernard caricaturait les “Evénements”, aujourd’hui, il dessine un drapeau du FLNKS sur le toit de la mairie du village qu’il a créé.
“La Brousse en folie” montre aussi comment chaque communauté perçoit l’autre ?
Oui, il montre comment on se moque les uns des autres à longueur de temps, finalement. Pour autant, on peut se demander si ce n’est pas parfois une forme de racisme. En fait, non, je ne crois pas, c’est la manière dont on se perçoit. Bernard est Calédonien depuis plusieurs générations, il sait manipuler l’humour du pays.
On rit souvent pendant le film, cela permet de faire passer un message plus facilement ?
Le film a eu un très bon accueil en Nouvelle-Calédonie. On aime bien se faire peur en Calédonie au sujet des communautés et là, de voir un film léger qui montre qu’on évolue ensemble, qu’on peut se moquer de l’autre sans être raciste, cela fait du bien.
Le film parle en effet du “vivre ensemble”, Bernard Berger explique d’ailleurs que ce n’est pas une utopie, mais une réalité.
Je crois que Bernard a raison en disant qu’on est déjà dans le destin commun, mais on l’ignore. On vit déjà ensemble, même s’il est vrai qu’on pourrait vivre encore plus ensemble, partager davantage. Notre quotidien est déjà ensemble. On va faire ses courses chez le vietnamien, la nounou des enfants et wallisienne, il y a de plus en plus de cadres océaniens, etc. On vit ensemble.
Le documentaire a cette singularité qu’il introduit des éléments de la bande dessinée sous la forme d’animations 3D. C’était une volonté dès le départ ?
Oui, Gweltaz réfléchit toujours beaucoup à la mise en image du film documentaire. Il voulait qu’on fasse de l’animation, du “caméra mapping”, il avait réfléchi à plein de manières d’intégrer la BD dans le film. Moi je voulais que cela soit maîtrisé pour ne pas surcharger le documentaire. Donc on a dosé cela, mais c’est beaucoup de travail, il a fallu sélectionner beaucoup de vignettes, on a également travaillé avec un studio d’animation à Nouméa.
Propos recueillis par Alexandra Sigaudo-Fourny