Carte Blanche : une ode à l’amour et l’humanité
De l’émotion à l’état pur
Joie, tristesse, souffrance, pitié… Impossible pour le spectateur de rester de marbre face à un tel témoignage d’amour et d’humanité. My Love, don’t cross that river a certainement été le plus bouleversant des quatre documentaires présentés lors de cet après-midi Carte Blanche. Les deux personnages, deux petits vieux à la beauté spontanée et sincère, ont littéralement séduit puis conquis le public venu nombreux assister à la projection dans la salle du Grand Théâtre de la Maison de la Culture. Le réalisateur, Moyoung Ji, a posé durant des mois sa caméra pour filmer la vie quotidienne de Jo, 98 ans, et sa femme Kang, 89 ans. Toujours vêtu de sa tenue traditionnelle, le couple vit ensemble depuis 75 ans dans une modeste maison située dans un village de Corée du Sud. Malgré les années passées, ils s’aiment toujours autant, se séduisent encore et s’amusent ensemble. Bataille de neige, moqueries, moments de tendresse… Ce petit couple qui, de premier abord, ne paie pas de mine a provoqué des éclats de rires et de larmes chez les spectateurs. « Ils sont très émouvants », confie Irène 63 ans, venue pour l’après midi. Comme sa soeur cadette Jacqueline, elle a eu du mal à retenir ses émotions. « Certaines scènes, notamment avec la famille, nous ont rappelé des souvenirs de Chine ». Même si les deux sœurs sont nées à Tahiti, leurs parents sont originaires de Canton dans le sud de la Chine. « Du coup, c’est comme si on avait replongé dans notre culture durant toutes ces minutes ». Filmé avec pudeur tout en restant très proche des personnages, My love don’t cross that river a réussi le pari de faire entrer le spectateur au cœur de ce couple et de lui faire partager des moments de vies.
Invitation poétique
Changement de lieu, changement de décor… Le deuxième documentaire diffusé lors de cette journée se déroule dans le milieu marin. Walking Under Water de Eliza Kubarska raconte l’histoire d’un homme tentant de transmettre à son neveu des traditions en voie de disparition : celle des Badjao, peuple nomade de la mer et extraordinaire plongeur. Durant près de 80 mn, le public est ainsi plongé dans les eaux profondes de Bornéo, troisième plus grande île du monde. L’action du film est lente, mais ses plans très poétiques s’arrêtant parfois comme pour figer l’instant laissent éveiller le spectateur. « Ce n’est pas évident de tenir mais le réalisateur réussit toujours à nous faire repartir alors qu’on se laisse parfois endormir ». Présent depuis le début des projections, Teva a particulièrement apprécié la qualité des images et du son de ce documentaire, à la production européenne. Même si l’intrigue du film est loin de la Polynésie, le quinquagénaire y a vu certaines similitudes avec les Tuamotu dans le mode de vie de ce peuple dont la pêche est au centre de tout. Isabelle, 52 ans, a plutôt été bouleversée par la rudesse de leur condition de vie, et ce contraste avec les touristes qui viennent dépenser leur argent dans de grands hôtels. « On a envie de les aider. On se demande d’ailleurs si des ONG s’occupent d’eux ou s’ils sont seuls ? On a envie d’en savoir plus », regrette cette quinquagénaire, véritable adepte du FIFO. « J’aime cet événement car c’est une lucarne sur le Pacifique et l’extérieur ».
Leçon de vie
Cette année, justement, les films présentés lors de cette journée Carte Blanche ne sont pas du Pacifique mais internationaux. Après la Corée du Sud et Bornéo, le public voyage désormais au cœur des montagnes perses. Comme dans le premier film, le spectateur y fait la rencontre d’un vieil homme. Mashti Esmaeil est un paysan iranien qui passe la plus grande partie de son temps à cultiver une rizière. L’homme est atteint de cécité. « C’est incroyable comme il a réussi à faire de ce handicap un atout pour faire vivre sa famille », s’étonne Laurence 52 ans, impressionnée par le courage de cet homme dont on ignore l’âge mais chez qui on sent la fatigue de la vie. Ce qui n’enlève rien au ton léger et très humoristique du personnage, le rendant un peu plus attachant encore. Ebahi de le voir monter à un arbre, le spectateur est parfois aussi un peu moqueur en se riant de certaines situations comme cet instant où le vieil homme cherche en vain son échelle après être monté sur le toit, tout seul. « C’est très drôle et touchant de voir son ami lui ôter l’échelle pour qu’il se retrouve coincé et comprenne que c’est dangereux ce qu’il fait ! », confie une jeune spectatrice accompagnée de ses amis. Encore émue par ce vieil homme serein et plein de sagesse, la jeune femme retiendra finalement de ce documentaire une belle leçon de vie.
Changer la réalité
Le dernier documentaire projeté est de toute évidence le plus difficile des quatre. Le sujet s’y prête. In the shadow of the sun revient sur le terrible destin des albinos de Tanzanie. En 2011, 62 albinos ont été tués dans ce pays d’Afrique de l’Est. Le réalisateur, Harry Freeland, a fait le choix de suivre durant six longues années un homme, un albinos, qui tente de sensibiliser ses compatriotes à leur situation. Ces derniers sont en dangers de mort à cause de croyances relayées par des médecins-sorciers, au nom desquelles ils sont souvent pourchassés, kidnappés, tués et démembrés. « On ne pense pas qu’une telle situation, une telle barbarie, une telle absurdité, puisse encore exister de nos jours ! », confie Karima, 34 ans, encore retournée par ce qu’elle a appris dans ce documentaire. « Finalement, ce film nous ramène à la réalité ». Durant 85 mn, avec poésie et tendresse, mais aussi courage et respect, le personnage du film transporte le spectateur dans son combat, l’emmène à la rencontre de ces hommes abandonnés et rejetés, et le guide vers cet espoir intarissable d’un jour meilleur. « C’est un pêché de perdre espoir », confiera d’ailleurs le protagoniste à la caméra. Un beau message pour le public ému par ces histoires de vie.
ZOOM : René Boutin : « L’humain est au cœur de ces documentaires. »
En choisissant ces quatre films, le directeur du festival Ânûû-Rû Âboro a souhaité faire un échange entre public. « Ces documentaires ont été les plus appréciés du public calédonien, j’ai donc décidé de les choisir eux parmi les 300 autres. Il s’agit d’un échange entre le public calédonien et vous ! », explique René Boutin sur la scène du Grand Théâtre, quelques minutes avant le début des projections. Lancé en 2007, le Festival International du Cinéma des Peuples Ânûû-Rû Âboro se déroule en Nouvelle-Calédonie sur dix jours. Le festival propose des projections de documentaires de création et engagés. « Il s’agit de films tournés sur le long terme, on parle d’années. On est dans le temps et l’esthétique. Ce n’est pas un format télé mais cinéma. », explique René Boutin à la sortie de l’après-midi Carte Blanche. « Les réalisateurs vont chez les gens, posent leur caméra durant des mois pour capter de tels moments intimes. L’humain est au cœur de ces documentaires. » Si l’homme a choisi de proposer des films internationaux au public polynésien, c’est pour ouvrir leur curiosité vers d’autres pays du monde. « Car il y a des choses vraiment de très grande qualité ! D’ailleurs, comment a réagi le public ? » interroge le directeur, soucieux de l’avis des spectateurs du fenua. René Boutin est rassuré d’apprendre que la majorité a largement apprécié de voir et découvrir des histoires de vie et des cultures différentes de celles du Pacifique ou de l’Océanie.
Suliane Favennec / FIFO