Elie Chouraqui a rencontré le sacré
Le président 2012 du jury du Festival International du Film documentaire Océanien revient sur les choix de son équipe et les moments les plus forts de cette 9ème édition. Pour sa part, Elie Chouraqui se veut bien Président du jury du FIFO à vie.
Après cette première participation au FIFO, quel regard portez-vous sur le festival ?
Elie Chouraqui : Je pense que le FIFO est un réellement un événement important. Il y a une telle diversité de populations dans l’Océanie, des Australiens aux Néo-zélandais en passant par les Tahitiens, les Samoa, les Néo-calédoniens, que c’est une richesse incroyable. Il y a quelque chose d’extrêmement puissant qui se dégage. Surtout, ce sont des populations vieilles, dans le sens où elles sont depuis longtemps sur Terre donc elles portent avec elle des racines, des valeurs qui sont extrêmement puissantes et qui viennent de très loin.
Vous parliez de sacré lors de la cérémonie d’ouverture de ce 9ème FIFO. Est-ce que c’est un ressenti que vous avez confirmé au visionnage des films ?
Elie Chouraqui : Oui, avec certains plus que d’autres mais le sacré a été constamment présent. C’est très curieux parce qu’en fait tous les films abordaient des thèmes essentiels. On n’a pas eu de films pour lesquels on a été frappés par légèreté du propos. À chaque fois, on va très profondément au cœur de l’humanité. Je ne m’étais pas trompé en choisissant ce mot de « sacré » car le sacré est omniprésent. Mais je crois que c’est une caractéristique de l’Océanie, du fait d’être très près de ses ancêtres, de ses Dieux, de ses croyances, de sa terre… J’ai aussi ce sentiment en Afrique : on retourne à l’essentiel, la terre, la famille, les liens de sang, la pluie, le soleil, etc., avec le respect des morts, du passé, des traditions… Comment vit-on au milieu de tout ça, qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous, pourquoi sommes-nous là… ?…
Est-ce que dans les films que vous avez visionnés, vous avez trouvé des réponses à ces questions ?
Elie Chouraqui : Je crois qu’il n’y a jamais vraiment de réponse à ce type de question. Mais ce qui est intéressant, c’est la recherche, le fait de se poser la question. J’ai toujours pensé qu’un homme, comme un peuple, sans racines, était incapable de vivre, et plus les racines sont enfoncées profondément dans sa terre, plus il a de chances de s’épanouir. Je pense que le grand questionnement de ces populations ce sont ces racines. Ce culte des morts, du passé, des ancêtres, leur permettent de se projeter dans l’avenir et d’ouvrir un chemin pour les plus jeunes. C’est quelque chose que j’ai fortement ressenti. Il y a des films dans lesquels c’est particulièrement criant.
Dans tous les films primés notamment… Qu’est-ce qui vous a convaincu pour chacun de vos choix ?
Elie Chouraqui : Le Grand Prix du Jury, Murundak Songs of Freedom a fait l’unanimité. C’est un chef d’œuvre. Sous toutes les formes d’expression, Long-métrage, documentaire, série télévisée, etc., c’est un des films que j’ai vu dans les dernières années qui m’a le plus ému. En plus, c’est drôle parce que c’est le premier film que l’on a vu, donc en arrivant on a pris cette espèce de gifle… Je me suis retrouvé à sangloter… Heureusement qu’après, tout le monde m’a dit avoir vécu la même chose. […] Justement on parle du sacré, là, on est en plein dedans… (…) Et tout ça véhiculé par le chant, par l’art, c’est extraordinaire.
Avec le 1er prix spécial, Ochre & Ink, on a ce truc absolument fascinant qui est de voir un Chinois, qui représente la nation la plus importante du monde, en population en tout cas, qui se retrouve en face d’un aborigène, qui lui est un survivant d’une nation qui a failli être décimée, massacrée. Et ces deux hommes partagent leur humanité à travers l’art, en mélangeant leurs talents. Je me dis que c’est un film qui, en dehors de toutes ses qualités, a une importance énorme parce qu’il prouve que tout est possible : que tous les hommes, d’où qu’ils viennent, s’ils sont de bonne volonté, peuvent vivre ensemble.
The Hungry Tide et l’histoire de Karibati qui va disparaître sous les eaux soulève un problème tellement fondamental qu’il nous concerne tous. Dans cette histoire, on n’est pas dans l’anecdote, on est vraiment dans la profondeur d’une femme qui se bat pour son peuple, pour son île et en même temps d’une certaine façon qui se bat pour nous, qui nous alerte, en nous disant « attention parce que ce qui nous arrive aujourd’hui va vous arriver demain donc il faut tout de suite arrêter le processus ».
Le troisième prix spécial du jury, Ma famille adoptée, est peut-être le plus insolite, parce qu’il a été très controversé dans le jury et en même temps c’est celui qui nous a fait le plus parler. C’est un film qui est révoltant tout en étant extraordinaire, angoissant tout en étant plein de promesses, qui nous a irrité et fasciné à la fois. Du début à la fin, c’est complètement ambivalent. On ne pouvait pas passer à côté d’un film comme ça et d’un sujet comme celui-là. C’est un questionnement permanent et c’est ce questionnement qui a fait qu’on a décidé de lui donner le prix. Cela dit, c’est vrai que la sélection était extraordinaire.
Qu’est-ce qui a fait la différence ?
Elie Chouraqui : Je crois qu’on en revient encore au sacré. Tous ces films ont un rapport avec le sacré : le sacré d’une population, le sacré d’une relation culturelle autour de la création, le sacré d’une terre, le sacré d’un enfant… Ce sont des thèmes qui à chaque fois sont d’une profondeur rare. […] La marque de la qualité d’un film, comme de toute œuvre, c’est l’émotion. C’est pour ça que le grand prix du jury était une évidence : c’est un raz-de-marée, un tsunami d’émotions.
On peut donc dire que le FIFO a mené à bien sa mission de susciter des émotions en tant que festival de films ?
Elie Chouraqui : Je crois effectivement qu’il a suscité beaucoup de passions, qu’il a révélé des talents et qu’il en révèlera encore. Pour que la mission soit complète, il faut que le FIFO continue de s’exporter. Ce serait dommage que ces films océaniens ne sortent pas de l’Océanie. Je pense qu’il faut qu’ils soient vus un peu partout. Je vais essayer de voir ce que je peux faire pour la France. J’espère que Planète, Canal+, vont faire leur devoir. C’est un service à nous rendre à nous-mêmes, et pas un service que l’on rendrait à l’Océanie, parce que ce sont des films qui sont vraiment passionnants donc il n’y a aucune raison que l’on ne puisse pas les voir sur des chaînes que l’on peut capter en France. Ce sont des rencontres à ne pas manquer. Le Grand Prix du Jury, c’est presque un film à sortir en salle.
C’est de l’art avec un grand A ?
Elie Chouraqui : Très clairement, parce qu’à ce stade ce n’est plus du documentaire dans le style « étude d’une situation ». Ça va bien au-delà. Ce sont des choses qui touchent à l’âme, qui nous élèvent, et c’est bien cela le rôle de l’art.
Manon Hericher