Eric Scherer : « Internet est une chance inouïe pour l’Océanie »
Eric Scherer est directeur de la prospective de France Télévisions. En clair, il est un anti-bruit, il est celui qui essaye d’éclairer le chemin de quelques mètres pour comprendre ce qui est en train de se passer dans le monde de la télévision, aujourd’hui bousculée par internet et le numérique. « Comme la musique et la presse hier, c’est au tour de la télévision d’être aujourd’hui prise dans la lessiveuse internet. Il faut donc changer nos habitudes », souligne le spécialiste, venu au FIFO pour proposer des solutions et montrer ce qui nous attend demain : la télé connectée. Rencontre et explications…
L’internet prend le dessus sur la télévision. Quels sont les défis des chaînes pour rester dans la course ?
Nous devons centrer notre attention sur trois points. Le premier, ce sont les jeunes. Est-ce que ceux qui ne regardent plus la télé vont revenir ? La réponse est non, car aujourd’hui, ils regardent sur internet. Alors, comment fait-on ? Le deuxième défi, c’est le terminal. La télévision est sortie du téléviseur pour aller sur l’ordinateur, et surtout sur le mobile. Le premier écran n’est donc plus la télévision mais le téléphone. Un téléphone qui est une phablet.
Qu’est ce qu’un phablet ?
Un mobile dont la taille est à mi-chemin entre la tablette et le smartphone. On voit déjà un peu partout en Europe et en Asie des téléphones de grande taille, c’est plus pratique pour regarder la vidéo, acheter, faire du e-commerce, et même travailler. Il faut savoir aussi que l’essentiel du trafic en ligne des grandes chaînes de télévision et des journaux a déjà dépassé la moitié par téléphone portable. Tout est donc en train de basculer sur le mobile.
Vous parliez de trois défis, quel est le troisième ?
Nous devons mettre fin à la télévision de rendez-vous au profit d’une télévision à la carte. C’est-à-dire une télévision que l’on commence quand on veut et où on veut. Il n’y a aucune raison d’attendre les informations à telle heure. Il n’y a aucune raison aussi que ce soit la chaîne qui décide du programme d’après. Ce sont l’audience et le public qui prennent le contrôle sur sa propre expérience télévisée. Un autre challenge, et de taille, nous attend aussi : cette extraordinaire profusion de contenus qui arrive via internet, et donc par la télévision connectée à internet. Les concurrents d’une chaîne télévisée comme Polynésie 1ère, par exemple, ne sont pas les autres chaines concurrentes, mais Netflix, You Tube, Facebook, Google… C’est là désormais que les gens vivent, s’informent, se divertissent, se cultivent. C’est cette extraordinaire profusion de contenus qui est un vrai challenge.
Comment faire pour aborder ce challenge ?
Quand il y a un trop plein de contenus et d’informations, vous êtes contents de trouver quelqu’un qui a fait le tri, qui a réduit le bruit d’internet. C’est ça le métier d’un professionnel de programme et de l’information. Notre rôle est là. Le public a besoin du journaliste pour faire le travail : vérifier, traiter, hiérarchiser l’information. Personne n’a envie de se retrouver le matin avec 2000 informations sans savoir quoi en faire, laquelle choisir. Nous avons besoin de personnes qui fassent ce travail. Dans cet univers, une chaîne de télévision est une playlist. Cette playlist, nous devons la personnaliser. La télévision est en train de passer d’un média de masse à un média de précision, où l’on vise des niches, des communautés voir même des individus. C’est très difficile de personnaliser davantage les contenus, mais on y travaille.
Quelles sont les pistes de travail aujourd’hui ?
On peut le faire de manière éditoriale, là c’est la télévision qui décide. Mais, il y a aussi deux autres moyens de découvrir des contenus intéressants qui émergent fortement : les amis – donc la recommandation sociale sur les réseaux sociaux -, et de plus en plus les algorythmes. Les algorythmes, c’est ce qui fait que lorsque vous achetez sur Amazon ou vous regardez un programme sur Netflix, on vous propose des contenus adaptés à votre historique, à vos amis, à l’heure de la journée. Editorial, social, algorythmes : cela pourrait bien être la combinaison gagnante pour réussir.
Vous avez tenu ce jeudi un colloque sur la télévision connectée, c’était important de partager cela avec les participants du FIFO ?
Bien sûr ! Quelque chose d’important est en train de se passer, nous devons le partager avec les participants du FIFO. Pour les cultures de l’Océanie, internet est une chance inouïe. On a démarré avec un web écrit, de publication, on bascule désormais dans un web audiovisuel. Les professionnels de l’image, de films, de documentaires et de l’information, sont donc légitimes à condition qu’ils s’adaptent et réinventent leur manière de travailler. La culture de l’écran remplace celle de l’écrit, il y a matière à en profiter. Internet, c’est hors frontière, c’est au-delà des océans, c’est planétaire ! Grâce à internet, les Océaniens ont la chance de montrer que cette culture locale forte existe, qu’elle est puissante, et qu’il y a une cohésion entre les peuples.
Dans certains endroits d’Océanie, nous avons encore des problèmes de débits, des zones qui ne sont pas encore bien desservies…
Tout le monde bouscule les opérateurs de téléphonie et les autorités des îles pour exiger une mise à niveau des vitesses de connexion et demandes du public. Les habitants des îles ne comprendront pas qu’ils soient en retard parce que la vitesse de connexion est insuffisante. En 2020, la 5G arrive en Corée, au Japon et en Europe. Avec la 5G, on pourra télécharger un film en quelques secondes par le téléphone portable. C’est le vrai défi des politiques et opérateurs de faire en sorte d’offrir et proposer un débit suffisant à tout le monde. Le Président de la Polynésie est d’ailleurs en train de négocier un nouveau câble avec l’ensemble des leaders polynésiens actuellement en Nouvelle-Zélande. Il ne doit pas y avoir de discrimination dans l’accès au contenu. Internet c’est comme l’air qu’on respire, comme l’électricité, l’eau courante. C’est devenu un droit, un droit de l’homme. C’est un droit des habitants des îles du Pacifique, à condition bien sûr qu’ils y accèdent de manière normale.