[FIFO 2020] Avant-premières du FIFO : quand la fiction raconte le vrai visage de Tahiti
Deux avant-premières au programme du FIFO… Samedi 8 février, le court-métrage Vaiora, réalisé par Itia Prillard, une jeune lycéenne, et L’oiseau de paradis de Paul Manate ont été projetés au Grand Théâtre de la Maison de la Culture. Deux fictions qui dressent un tableau authentique de la Polynésie.
La salle est comble. Le programme de cette soirée OFF du FIFO a attiré la foule. Au menu, deux avant-premières. Le court-métrage Vaiora, réalisé par Itia Prillard. La jeune lycéenne a remporté le prix du marathon d’écriture du FIFO 2019. Un prix qui lui a permis de réaliser son scénario avec l’aide d’Emmanuel Juan. « C’est ma championne ça !» s’exclame le réalisateur sur la scène du Grand Théâtre quelques minutes avant de lancer la projection. Itia Prillard n’est pas une habituée de la scène alors venir expliquer son projet devant un public, ce n’est pas chose aisée. « Je voulais vraiment remercier mon co-réalisateur de m’avoir appris à avoir confiance en moi. Car, c’est grâce à lui que je suis ce soir sur scène ». Élève en terminale littéraire option cinéma audiovisuel, Itia Prillard est émue de montrer pour la première fois son court-métrage. Une expérience édifiante pour la jeune fille de 17 ans. Vaiora raconte l’histoire d’une petite fille métissée. Elle cherche à apprendre et transmettre la culture dans laquelle elle baigne depuis sa plus tendre enfance. Tout au long du film, elle demande donc à ses proches de lui enseigner à faire le ma’a tahiti, à tresser, à danser… Au fil des minutes, elle se rend compte que l’enseignement n’est peut-être pas la clé, il suffit d’observer. « Il était très bien ce court-métrage car il fait passer un message : en regardant, on apprend », explique Antoine, 22 ans, venu avec ses parents pour cette soirée de projections. Ahuura a elle aussi apprécié ce film car « c’est typique d’ici, on ne t’apprend pas les choses, tu refais lesgestes ». A la fin des 6 mn de projection, le public a applaudi. Il semble avoir été conquis.
Un film qui montre Tahiti comme elle est
Place ensuite à L’oiseau de paradis. Aux commandes du film, un enfant du fenua, lui aussi un métis, Paul Manate. « C’est la première fois qu’on montre le film en public, ce soir. C’est une avant-première mondiale, et cela me tenait à cœur que ce soit à Tahiti ». Ce film a été réalisé en Polynésie française avec l’aide d’Archipel Production. Un tournage qui s’est déroulé en majorité avec une équipe locale. Plus d’une centaine de personnes ont travaillé sur le film et sur plus de 35 techniciens, seuls 8 d’entre eux et deux comédiens venaient de Métropole. Une belle démonstration que la production locale existe et est compétente. Une belle manière de continuer à développer la filière fiction sur le fenua. Dans son film, le réalisateur Paul Manate a choisi de tourner le dos aux clichés qui inondent les dépliants touristiques, servent souvent de décors aux productions extérieures qui viennent tourner sur le territoire et donnent une image contrefaite de la réalité de l’île. L’Oiseau de paradis montre Tahiti telle qu’en elle-même, une vision de l’île authentique. Le public a apprécié. « Certaines scènes m’ont vraiment fait penser à des choses qu’on vit au quotidien. C’était vraiment super », confie Moeani, 16 ans. Beaucoup de spectateurs se sont identifiés dans cette fiction. « J’ai reconnu plein de décors d’ici. Du coup, ça te parle ! C’est chouette que ce soit tourné ici, on ne voit pas souvent des fictions qui ont été réalisées à Tahiti », explique Etienne 29 ans. L’oiseau de paradis suit Teivi, un jeune assistant parlementaire métis amoral et sans scrupules, appartenant à la jeunesse dorée de Papeete. Mais c’est aussi l’histoire de Yasmina, lointaine cousine maorie de Teivi, rongée par un don miraculeux qui l’exclut du monde. L’oiseau de paradis montre la corruption politique et la force de certaine tradition. Il fait surtout le récit du lien mystique qui unit ces deux personnages, de l’imperceptible correspondance qui les domine, de l’ultime aliénation qui les fera se retrouver. « C’était parfois très sombre et il y avait peu de dialogues. Mais j’ai bien aimé car le réalisateur ne dit pas tout, il laisse libre court au spectateur d’interpréter », confie François, 50 ans, dont le fils a joué un petit rôle dans le film. La moitié de la salle était composée d’une grande partie des acteurs de la fiction. Parmi eux, Ahuura. « Ca me fait bizarre de me voir à l’écran, s’exclame la jeune femme de 28 ans, Mais j’ai trouvé qu’il représentait bien la société actuelle dans laquelle on vit ».
Les interviews de la soirée
Paul Manate, réalisateur de L’oiseau de paradis :
« Un vrai moment d’émotions »
Était-ce important de faire l’avant-première de votre film au FIFO ?
J’ai tourné ici et je suis né ici. Il fallait le montrer d’abord ici devant un public polynésien. Il est rare de voir des films faits à Tahiti qui ne soient pas sur des clichés. Souvent les Américains et les Français montrent des lagons, de belles vahine… Ils viennent là pour le paysage, la carte postale. Moi, comme je suis né ici, mon film montre des histoires de mon enfance, des légendes que l’on m’a racontées, mais aussi des histoires de corruptions dans le milieu politique, de partage des terres. Donc, j’ai fait un mixe de toutes ces histoires.
Les fictions en Polynésie se développent mais ce n’est pas toujours évident. Tu as décidé de faire appel aux équipes locales… Quelle est ton expérience ?
J’avais déjà fait un court-métrage avec la même équipe, Nevermore, en 2012. Mais c’est vrai qu’au début, j’avais un petit peur car je ne connaissais pas les gens ici. Mais on a fait un test, et ça a fonctionné. J’ai travaillé avec tous ceux avec qui j’avais travaillé pour le court-métrage, donc la confiance était totale. J’habite en province, à Rennes, et on se bat pour que les productions parisiennes prennent les locaux. C’est pareil ici. Et, c’était important de prendre des locaux pour tourner ce film. Ca sert à quoi de prendre un Métropolitain qui ne connaît pas la langue, les quartiers, les codes ? Ici, ils connaissent et tu gagnes du temps pour le tournage. Et, puis il faut dire que tourner avec des Polynésiens ce n’est vraiment pas du tout pareil qu’en Métropole. Tu arrives le matin en plateau, tout le monde fait comme si tu étais en colonie de vacances même s’ils restent super pro !
C’était émouvant cette projection ce soir ?
Oui c’était un vrai moment d’émotion ! J’ai été ému de voir Blanche, l’actrice principale, ce soir, un an et demi après. Elle est complétement transformée, et elle n’avait jamais vu le film. C’était génial de la revoir et revoir tous les autres acteurs. Ca m’a fait plaisir de voir aussi que le public était réactif. Il y avait des scènes où les Polynésiens se sont reconnus, c’est plus difficile pour un public métropolitain.
Blanche Neige Huri, interprète de Yasmina, actrice principale de L’oiseau de paradis :
« Je suis vraiment contente et fière »
Vous avez découvert le film ce soir ?
J’ai été très surprise et choquée sur quelques scènes. La scène de moi et la tante Rosa qui me tire les cheveux, je ne suis pas comme ça dans la réalité. Yasmina subit, elle garde tout pour elle. Donc, moi, ça me fait bizarre (sourires).
Vous n’étiez pas actrice professionnelle avant ce film, quelle est votre expérience ?
Quand on m’a dit que j’allais être actrice principale, je ne savais pas comment faire. Je ne suis pas quelqu’un de très sociable à la base, du coup Paul a engagé une coach pour m’aider. Delphine Zingg est venue, on a partagé beaucoup de moments, elle m’a appris à aller chercher des sentiments. Elle m’a aidée pour les scénarios et le texte, notamment à les retenir.
Était-ce émouvant de voir ce film et de te voir à l’écran ?
Oh oui ! J’ai beaucoup aimé me voir à l’écran et de voir tous les sacrifices que j’ai fait, le temps que j’ai consacré pour le film. Aujourd’hui, je vois le fruit de mon travail, et je suis vraiment contente et fière. Cette expérience m’a permis de beaucoup mûrir, de connaître pleins de différentes personnes. J’aimerais revivre cette expérience !
Laurent Jacquemin, co-producteur de L’oiseau de paradis
« Ca serait bien d’avoir plus d’aides pour la fiction »
Vous êtes les coproducteurs du film. Les équipes étaient principalement locales, était-ce important ?
C’était important oui, surtout pour Paul je pense. Il a fait le pari de dire : on vient faire ce film en Polynésie mais on joue le jeu de la carte locale. Du coup, je crois que ça a insufflé quelque chose même avec les producteurs métropolitains qui parfois sont frileux pour travailler avec des gens avec qui ils n’ont pas l’habitude de travailler. Grâce à l’insistance de Paul, on s’est retrouvé avec 35 techniciens locaux dont 9 chefs de poste. Ce qui est très rare, souvent les productions viennent avec leurs chefs de poste et ne prennent que des assistants au niveau local.
Est-ce que c’est un moyen de développer la filière ici ?
Cette fiction montre en tout cas que c’est possible. Nous avons les compétences : des acteurs qui sont de vrais talents, les techniciens qui sont au point et de très bons décors. Mais on aimerait avoir un petit coup de pouce, ça serait bien d’avoir plus d’aides pour la fiction. L’idée serait d’inciter les productions extérieures à venir et à avoir des aides locales directement destinées aux fictions. Aujourd’hui, on a le SCA mais il est plus orienté vers le documentaire, et on a quelques subventions exceptionnelles mais ça reste exceptionnel justement. Ca serait bien de fonder un autre fonds d’aide qui soit cette fois orienté vers les fictions.
Itia Prillard, réalisatrice de Vaiora
« C’était assez difficile comme expérience mais très riche »
Qu’as-tu ressenti en projetant ton premier court-métrage au FIFO ?
J’étais très émue car c’était une première. De voir la réaction des gens, des rires, c’était vraiment émouvant.
Pourquoi ça te tenait à cœur de raconter cette histoire autour de la transmission de la culture ?
Je trouve qu’ici ça se fait de moins en moins, il y a beaucoup d’hésitations surtout au niveau des enfants métissés. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à transmettre cette culture car elle est riche. C’était important pour moi de montrer à quel point elle était riche et indispensable pour nous, mais aussi de montrer qu’on pouvait la transmettre juste en la regardant. Moi, par exemple, j’ai appris pleins de choses juste en regardant les matahiapo.
C’était ta première expérience de tournage. Qu’en retiens-tu ?
C’était assez difficile comme expérience mais très riche. Le plus difficile était de se retrouver à 17 ans à gérer un groupe d’adultes. Emmanuel Juan (ndlr : le coréalisateur) m’a vraiment secondée le premier jour, puis ensuite il m’a demandée de gérer ça un peu seule, de prendre confiance en moi. J’ai appris que dans le cinéma, il faut vraiment savoir faire des choix pour être fière ensuite de son rendu.
Suliane Favennec / FIFO 2020