Gil Kebaïli : « On doit continuer le travail scientifique »
Durant près d’une heure et demie, le réalisateur Gil Kebaïli plonge le spectateur dans l’incroyable monde marin. Tourné sur l’atoll de Fakarava, Le Mystère Mérou raconte la reproduction de cette espèce de poissons qui attend la pleine lune pour le faire, en même temps et en un seul jour ! Mais pas seulement… Le biologiste Laurent Ballesta va également réaliser le record mondial de la plongée en durée : il effectue une plongée de 24h à la passe de Tetamanu pour observer un cycle de vie sous-marine. Les images sont prodigieuses, les émotions fortes… Rencontre avec le réalisateur de ce documentaire d’exception.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur la reproduction des mérous ?
Après vingt ans d’exploration dans le Pacifique pour les émissions de Nicolas Hulot, j’ai eu la chance de découvrir des endroits comme Fakarava. C’est comme cela que j’ai entendu parler de ce rassemblement spectaculaire de mérous au moment de la reproduction. En fait, le mérou se repère sur la pleine lune et le courant pour remonter l’atoll et se rassembler jusqu’à la passe sud de Tetamanu. Cela dure un mois pour finalement arriver le jour J. Ils sont jusqu’à 20.000 ! L’événement est exceptionnel, il l’est d’autant plus qu’aujourd’hui il n’est répertorié qu’à Fakarava.
Vous avez dû passer des heures sous l’eau pour capter de tels moments…?
Oh oui ! Nous avons 350 heures d’images ! Pour ne rien rater, nous avions placé cinq cameramen sous l’eau. Cinq personnes capables de rester sous l’eau durant cinq heures. Donc au bout de quatre semaines, ce sont des milliers d’images que nous avons accumulées. Finalement, on a passé cinq semaines à Fakarava pour une demi-heure d’événement ! Mais, tous les jours, on allait tourner des scènes sur le comportement des mérous ou autres espèces marines. L’idée était de transcender l’image sous-marine, et pour la rendre belle, elle doit dire quelque chose. On est donc très attentif au comportement, un comportement qui s’acquiert à force d’avoir tourné des centaines d’heures d’images. C’est ainsi qu’on a réussi à capter les duels entre mérous ou la prédation des requins.
En passant tout ce temps dans le milieu marin, on imagine que vous avez vu des choses assez incroyables ?
En plus du spectacle de la reproduction des mérous, le rassemblement attire les grands prédateurs, c’est donc une véritable chorégraphie sous-marine qui se met en place. Une chorégraphie exceptionnelle car elle ne dure que quelques minutes. Et, puis philosophiquement, cela est très intéressant car on parle de mérous qui viennent donner la vie, et de requins qui viennent la prendre. Il y a comme un combat permanent entre la vie et la mort, c’est une quintessence du cycle vivant. Le film n’est pas donc seulement une histoire naturelle, mais aussi une dramaturgie. Je ne fais pas un film scientifique pour la science mais pour le grand public, il faut donc capter l’attention du spectateur.
Vous avez certainement dû ressentir des émotions fortes lors de votre tournage sous l’eau ?
Oui, en particulier lors des plongées de nuit. Les requins se réveillent la nuit pour chasser. Avec la lumière que nous utilisions, ils étaient attirés, les autres poissons aussi. Cela a donc crée une frénésie et, ainsi, généré des images très fortes. Il y a eu un moment où nous avons eu très peur mais nous n’avons pu le filmer car cela est allé trop vite. Nous avons vu un requin marteau de 4 mètres surgir des profondeurs, il n’était pas nonchalant, il allait très vite, il cherchait une proie. C’était impressionnant ! A ce moment, oui, on a eu peur.
Laurent a souhaité faire une plongée de 24h pour observer un cycle de vie sous-marine. C’est un exploit, cela n’avait jamais été encore réalisé…
En effet, c’est une première. Laurent est un spécialiste des plongées engagées, et il avait décidé de passer 24h sous l’eau. Il était curieux de savoir comment vivent les mérous le matin, la journée et la nuit ? Quel est leur cycle ? Et il voulait rester sous l’eau car s’il sortait, il sortait du monde marin. Ce qu’il a réalisé est exceptionnel et contribue à faire évoluer la plongée, comme Cousteau l’a fait en son temps. Pour réaliser cette plongée, il a dû se préparer physiquement : étirement, cardio…C’est important car le matériel est lourd, cela appuie sur les reins, il faut donc se renforcer pour tenir.
Vous avez utilisé du matériel assez spécifique pour cette plongée, notamment un recycleur au lieu des bouteilles, pourquoi ce choix ?
Ce système permet de respirer sans jamais lâcher de bulles, il permet de recycler l’air dans un réservoir de chaux qui fixe le CO2, et donc nettoie l’air expulsé. Ensuite, une petite bouteille envoie de l’oxygène, et cela revient dans la bouche du plongeur. C’est le même air, le même volume, qu’il respire. Les recycleurs sont une révolution dans l’image sous-marine car, grâce à eux, on peut rester jusqu’à 6/7h sous l’eau. C’est une nouvelle fenêtre qui s’est ouverte dans le film sous-marin.
Ce film est donc aussi une prouesse technique, même si il reste avant tout un véritable témoignage scientifique sur cette espèce et son environnement.
Oui, et on doit continuer ce travail scientifique. On doit continuer à compter les mérous et les requins pour comprendre l’évolution, on doit essayer de faire des plongées à un autre moment que la pleine lune, mais aussi répertorier les passes dans lesquelles les mérous se reproduisent. Jusqu’à présent les plongées proposées ici sont plutôt touristiques, cartes postales. Personne n’a encore vraiment étudié le monde sous-marin, et les mécanismes de ces espaces, il faut désormais le faire. La science doit continuer.
Inside the Doc jeudi 4 février de 10h à 10h30