Le FIFO, au-delà d’un festival, une fenêtre sur le monde
Wallès Kotra, initiateur du festival et Président de l’AFIFO, nous explique comment aujourd’hui, plus qu’un simple rendez-vous de cinéphiles, le Festival International du Film documentaire Océanien constitue une véritable force de frappe pour les cultures océaniennes et les possibilités qu’offrent chaque année un peu plus les perspectives de son développement. Interview.
Qu’est-ce qui donne au FIFO sa force de frappe internationale ?
D’abord, avant de rentrer dans le détail des différents partenaires du festival, le fait qu’en même temps que le FIFO se déroule la réunion du comité directeur du Fonds Pacifique, que la Ministre de l’Outre-Mer soit passée chez nous, que la plupart des exécutifs de la région (Nouvelle-Calédonie, Wallis…) soient présents, ainsi que tout le réseau de diplomatiques français de la région avec les représentants culturels des ambassades, tout cela signifie que l’on commence à représenter, à incarner, un lieu stratégique, important. Le FIFO n’est pas simplement un festival de mordus de cinéma qui viennent y découvrir des documentaires. Il y a un enjeu qui dépasse ce que nous sommes.
Et l’on voit aussi qu’il y a un réseau d’autres festivals, amis du FIFO, qui s ‘étoffe d’année en année…
Cabourg, Rochefort, le Festival « Ânûû-rû âboro » de Nouvelle-Calédonie, le Festival de cinéma de Douarnenez en Bretagne nous ouvrent à l’univers du cinéma, avec l’esprit de simplicité, d’amitié et de partage de valeurs et de regards communs du FIFO. Plus récemment, le Festival international du livre et du film « Etonnants voyageurs » nous a contacté pour organiser à Saint-Malo un « FIFO hors les murs », le thème de cette année étant « les Mers du Sud ». On est également en train de parler d’un festival à Melbourne…
Différentes institutions comme le Museum d’Histoire Naturelle de Paris sont aussi présentes… ?…
C’est d’ailleurs ledit Museum que dirige Thomas Grenon, cette année membre du jury, qui conserve la tête du grand chef kanak Ataï. Une discussion est actuellement en cours sur le retour de la tête en Nouvelle-Calédonie. Ce sont des enjeux comme celui-ci qui se discutent pendant le festival. Ce n’est pas rien.
Au FIFO, il y a des créateurs bien sûr, des producteurs aussi, mais également de plus en plus de structures qui participent au financement de l’audiovisuel dans la région…
On a par exemple la CBA, Commonwealth Broadcasting Association, qui aide un peu les médias dans le monde du Commonwealth et va intervenir dans le colloque des télévisions océaniennes. Le grand public ne voit pas tous ces aspects mais ils sont éminemment importants pour les professionnels du secteur. Il y a aussi le PACMAS, (Pacific Media Assistance Scheme), le fonds australien d’aide aux médias océaniens, qui intervient à l’occasion du colloque, ainsi que le Fonds Pacifique, qui est vraiment le fonds stratégique dont l’Etat français s’est doté pour être le bras armé de sa coopération régionale. Et il y a aussi divers interlocuteurs comme l’Australian Film Television and Radio School (AFTRS), l’une des plus grandes écoles de télévision et d’arts de l’écran d’Australie, avec laquelle nous discutons sur la possibilité de faire des sessions de formation lors du 10ème FIFO.
On voit bien au travers de ces divers interlocuteurs que le festival a pris de la consistance…
Je trouve que c’est cette diversité des points de vue, des discussions que l’on trouve ici, qui fait la magie du FIFO. L’idée de départ qui est de dire « on veut une visibilité pour notre région », on voit que ce ne sont pas que des mots. Le FIFO acte. Et l’on commence à attirer autour de nous de plus en plus de gens qui peuvent participer, à nos côtés, à rendre plus visibles nos cultures. Ces gens qui se déplacent, ce n’est pas seulement pour danser le tamure mais bel et bien pour financer du documentaire.
Le succès du FIFO commence à asseoir cette visibilité. Quels sont les enjeux à venir et les pistes explorées pour les prochaines années ?
Je crois que la bataille de la visibilité n’est pas encore gagnée. On a amélioré des choses mais il reste du travail. Au premier festival, il y avait RFO et TNTV. Aujourd’hui, avec la TNT, on est confronté à encore plus d’images donc finalement nos productions régionales sont encore plus marginalisées. […] Le FIFO enclenche des dynamiques, c’est ensuite aux opérateurs de prendre la balle au bond mais je pense par exemple que la discussion sur la professionnalisation de nos personnels océaniens doit se poursuivre. C’est important si l’on veut être crédible. C’est vrai que c’est facile pour France Télévisions d’envoyer une équipe de France 5 faire un reportage ici mais l’important serait que demain, il y ait des polynésiens, des calédoniens, qui puissent être autonomes pour intervenir dans la région, plutôt que de faire venir des personnels américains ou européens.
Dans la région, à part en Australie, il n’y a pas vraiment de lieu de formation, alors peut-être qu’il faut mettre la question sur la table pour créer éventuellement un centre régional de formation aux métiers de l’audiovisuel. Ca peut être intéressant que se développe cette idée autour du FIFO. Dans la même dynamique, peut-être qu’il faut réfléchir à créer un fonds régional d’aide à la production audiovisuelle. Pour l’instant il y a l’APAC (l’aide à la production audiovisuelle et cinématographique) qui est à Tahiti. Ça vaudrait sûrement la peine de lui donner une dimension régionale.
Et enfin, à côté des documentaires, il faudrait peut-être un autre pôle dans le festival, où il y aurait des échanges d’émissions de télévision, que ce soit des magazines, des captations de spectacle, du théâtre, etc. ; tout ce qui ne peut pas passer par le marché du documentaire… Il y a plein de choses à faire car cette bataille n’est pas encore gagnée, mais elle est en bonne voie et on prépare déjà le FIFO 2013 et notre 10ème anniversaire.
Est-ce qu’il y aura des choses particulières pour ce 10ème anniversaire ?
On a deux pistes que l’on est en train d’explorer ; ce ne sont encore que des rêves. En premier lieu, on aimerait réussir à concilier deux manifestations de Polynésie à l’occasion du FIFO, à savoir le Heiva et le FIFO. Pour se faire, on a pensé que ce serait bien qu’à l’ouverture du festival, les groupes de danse de Polynésie racontent l’histoire des 10 ans du FIFO, de cette bataille pour la visibilité de notre région, au travers d’un grand spectacle mélangeant l’audiovisuel et la danse. L’idée a séduit mais les responsables de groupes doivent encore réfléchir avant de revenir vers nous.
La deuxième piste est plus politique, elle vise à dire que ce combat pour la visibilité des petites cultures océaniennes qui est pour l’instant porté par le festival aurait bien besoin qu’une parole politique le relaie. Donc on envisage d’organiser ici un regroupement des Ministres océaniens de la Culture, pour qu’ils puissent se battre ensemble et faire que la parole océanienne prenne encore plus d’ampleur.
Manon Hericher