[n°5] Le Groupe de Mamao
En août 1940, le médecin-chef et administrateur des îles sous le vent Emile de Curton prend la maison de Mamao alors occupée par Jean Gilbert, gendre de l’industriel Emile Martin, qui s’est installé à Pirae. Son frère, le Dr Jacques Gilbert occupe toujours la maison voisine. Le Dr Jacques Gilbert est venu à Tahiti avec son intention d’ouvrir une clinique privé.
L’administrateur Marcel Sénac prend la maison située en face de celle de Jacques Gibert.
Dans cette ruelle de Mamao fermé à ses deux extrémités par les maisons de Tante Sissi et de Tante Rose, alors si calme, le ralliement à la France libre trouvera sa fibre sous l’égide d’un mouvement dit Groupe de Mamao.
Le groupe de Mamao est né dans le cercle familial du conseiller privé Emile Martin industriel et propriétaire de l’Électricité de Tahiti et de la Brasserie de Tahiti. Leurs premières réunions se tiennent à son domicile situé à Aina Pare situé à l’angle de l’avenue Bruat juste à côté du bâtiment de la Marine.
Émile Alexandre Martin est né à Papeete le 1er décembre 1879. Après des études à San Francisco, puis à Grenoble, il revient à Tahiti en 1896 où il reprend le magasin de son père. On prête à son père Louis Martin, armateur et commerçant installé rue du marché, d’avoir le premier eût l’idée de faire venir des tissus d’ameublement pour finalement les avoir transformé en paréo. En 1917, Émile Martin rachète une petite usine électrique. En 1930, il est Vice président de la Chambre d’agriculture. En 1933, il est membre du Conseil privé. En 1936, il rachète la Brasserie de Tahiti.
Son gendre Jean Gilbert et son fils Yves Martin dirigent la Maison Émile Martin.
Yves Martin est l’ainé des enfants Martin. Il est marié à Tonita née Bambridge. Ils habitent aussi à Pirae : « Un agréable Fare qu’une pelouse ombragée et fleurie sépare de la plage et d’un bain délicieux ». La famille Martin comprend aussi les enfants d’un second lit dont Louis et ses deux sœurs : Rose et Frieda.
Les membres de ce groupe se réunissent tous les soirs pour échanger sur les informations recueillies, les dernières recrues et les prises de décisions correspondantes. Les comploteurs se hâtent dans la ruelle sombre.
Autour de la famille Martin, le groupe de Mamao réunit donc :
- L’administrateur des Tuamotu Gambier Marcel Sénac,
Marcel Sénac est le fils d’un député radical-socialiste du Gers. Licencié es lettres, il participe à la fondation du groupe La Jeune Parque que côtoient Gide, Paul Valery et Malraux. Très lié à Jean Paulhan de La Nouvelle Revue française, il fait des recherches sur Lautrémont. Malheureux en amour, le ministre de la Marine l’envoie à sa demande en mission aux îles Marquises. Il s’établit à Moorea où défenseur des populations locales, il dénonce les abus de l’administration et des Chinois. Ses ennemis incendient sa maison. Son père intervient auprès du gouverneur Montagné qui lui trouve un petit emploi comme commis aux services civils. Il passe au cadastre. En 1936, il est nommé administrateur des Tuamotu Gambier.
- Le médecin-chef Emile de Curton,
Émile de Curton arrive à Tahiti en 1938 après un séjour à Madagascar de 1936 à 1937.
Il exerce la fonction de médecin-chef de maternité puis d’administrateur aux Marquises et aux îles sous le vent.
- Le Dr Gabriel DEVAU, médecin de bord du Ville d’Amiens,
- Le Dr Jacques Gilbert, frère de Jean Gilbert et Geosa femme. Jacques Gilbert se révèle être un redoutable conspirateur,
- Andréa de Balmann. Elle est née le 24 avril 1913 à Makatea où son père est attaché à la Compagnie française des phosphates. En 1939, elle devient la première doctoresse tahitienne.
- Jacqueline Sadoul, communiste militante et épouse de l’administrateur Henri Lemonnier
On y retrouve les trois membres du conseil privé, Édouard Ahnne, Émile Martin et Georges Lagarde. Ils sont rejoints par Teriieroo i Teriierooiteari chef de Papenoo, de Tehema Winchester, chef de Katiu, Mataitai de Afareaitu et de Maraetefau, Loulou Spitz et de Tony Bambridge. Leurs rangs se compléteront des recrues de Marcel Sénac comme Tetuahitiaa Colombel et Francis Sanford,.
Tetuahitiaa Colombel est né à Pueu le 14 mars 1914. Il entre dans l’administration en 1931, suit un stage de radiotélégraphiste puis est affecté à Rikitea aux îles Gambier en ami 1932. En 1939, il est affecté aux Tuamotu.
Francis Sanford est né le 11 mai 1912 à Papeete. Son père Paul Sanford est un ancien poilu de la Grande guerre qui réengagera dans les rangs du Bataillon du Pacifique.
Lors de l’armistice de 1940, Francis Sanford est chef de poste administratif aux îles Gambier.
La promulgation de la loi du 13 août 1940 portant interdiction des sociétés secrètes accélère le mouvement.
Le Groupe de Mamao entérine un plan d’actions en trois actes :
- La création d’un Comité de la France libre ;
- Le vote d’une motion de défiance aux Délégations économiques et financières condamnant le gouverneur Chastenet de Gery ;
- La mise en place avec l’appui d’Étienne Davio, d’une force d’intervention.
Le 27 août 1940, première de ses actions, le Comité de la France libre est créé.
Biographie : Jean Gilbert
Jean Clovis Alexandre Gilbert est né le 20 avril 1907 à Libermont dans l’Oise.
En 1926, il entre à l’Ecole navale, sort Enseigne de vaisseau en 1929. En 1932, il opte pour l’aéronavale et devient pilote en 1933.
Il effectue deux années comme chef du service aéronautique à bord de l’aviso colonial Amiral Charner dans le Pacifique et l’Extrême Orient qui lui permettent de découvrir Tahiti. Il démissionne le 1er octobre 1936 de l’escadrille E4 à Biscarosse où il est affecté et revient à Tahiti pour épouser Simone Martin, fille d’Émile Martin, industriel et propriétaire de l’Électricité de Tahiti et de la Brasserie de Tahiti. Il prend la direction du département de l’Électricité.
Lors de la mobilisation de 1939, le lieutenant de vaisseau de réserve mobilisé sur place est affecté à l’escadrille 8S 5 où il exerce les fonctions d’adjoint au commandant. Il organise plusieurs entraînements de pilotage des CAMS 55 de l’escadrille E8.
Jean Gilbert membre du Groupe de Mamao est un des artisans du ralliement à la France libre. Le 2 septembre 1940, les officiers de la Marine étant restés fidèles à Vichy écartés, Gilbert devient le commandant de la marine aux EFO et de l’escadrille jusqu’à son départ de Tahiti, à bord du Wairuna le 31 mars 1941 pour être affecté dans une escadrille de chasse de la Royal Air Force à Ternhill.
Il arrive en Grande Bretagne le 19 juin 1941. Il est finalement promu capitaine de corvette et mis à la disposition du capitaine de vaisseau Thierry d’Argenlieu, Haut-commissaire de la France libre au Pacifique.
A partir du 1er avril 1942, il devient officier de liaison auprès de l’amiral Ghorley commandant des forces navales américaines dans le Pacifique sud.
Jean Gilbert est malheureusement victime d’un accident d’avion en Nouvelle Zélande.
Roy Wales engagé dans la Royal Air New Zealand Air Force témoigne : Je stationnais sur la base aérienne de Whenuapai. Le 9 juin 1942, une forteresse volante américaine B-17 EBO série 41-2667 s’est écrasée au décollage, tuant tous ses occupants. Le Texas Tornado premier aéronef de cette gamme à se poser en Nouvelle Zélande devait gagner les îles Hawaii en passant par la Nouvelle Calédonie. Ils étaient dix à bord, dont deux passagers parmi lesquels figurait le capitaine des forces françaises libres Jean Gilbert. Il semble qu’une panne de moteur soit à l’origine du crash. Armé de deux bombes de 500 lbs, elles ont explosé après l’impact, soufflant la ferme Sinton en fin de piste.
Ses restes mortels seront rapatriés à Tahiti.
Jean Gilbert est compagnon de la Libération.