Le voyage des Maori et l’importance de la langue vernaculaire
Des spécialistes de la culture polynésienne, des experts de la langue vernaculaire… Le festival Polynesia a proposé au public des conférences pour mieux connaître la richesse de notre triangle.
Rangimoana Taylor est assis au milieu de la scène du Petit Théâtre de la Maison de la Culture. Acteur et metteur en scène depuis plus de 35 ans, le maori est le frère du célèbre poète maori Apirana Taylor et de la scénariste Riwia Brown primée pour le film L’âme des Guerriers. Rangimoana Taylor connaît très bien son pays, sa culture, son histoire. Pour cette conférence autour de « La Boussole pour ne pas se perdre », le maori a choisi de parler de l’histoire du peuplement de la Nouvelle-Zélande. « Notre langue vient de Raiatea. Selon nous, les maori de Aotearoa sont partis de Raiatea car elle était trop peuplée, les hommes se battaient. On est donc partis ». Dans la salle, l’audience est concentrée, attentive. Beaucoup ne connaissent pas ou peu cette histoire. « Ce sont des choses nouvelles pour moi, on apprend beaucoup et on approfondit nos connaissances », explique Titaina, 54 ans, assise au premier rang.
Découverte de Aoturua
C’est grâce aux baleines, aux étoiles, aux oiseaux et au vent que les maori ont réussi à se guider. « On a remarqué que les baleines allaient dans le sud, qu’elles se rapprochaient des plages pour se nourrir. On a alors construit une pirogue à voile, confectionnée à partir de plantes et arbres de Raiatea. Et on est partis, contre le vent, car on voulait revenir sur Raiatea ». Les premiers à quitter l’île sont le chef Kupe et Kuramarotini, sa femme. Après un long voyage, ils sont arrivés vers une terre aux montagnes enneigées. A l’époque, le couple ne savait pas qu’il s’agissait de la neige. La femme du chef décide donc d’appeler cette terre : Aotearoa, le pays aux longs nuages blancs. Suite à sa découverte, le chef Kupe repart sur Raiatea avec comme objectif de ramener des personnes sur cette grande île. « J’ai trouvé un pays plus grand que toutes les îles que nous avons vues jusqu’à présent. Les hommes aux cheveux noirs, allez-y et vous verrez ! » déclare Kupe aux habitants de l’île. Un groupe prend donc la route pour leur nouvelle terre. Ils suivent, eux aussi, les baleines, le vent, les étoiles, les oiseaux pour se guider. Ils arrivent alors au nord de Aotearoa. Kupe leur montre les semences à planter, les poissons à pêcher… Tout ce qu’il faut pour survivre puis s’installer sur cette grande île. Pour éviter que ces derniers ne repartent de ce nouvel endroit, Kupe brûle les pirogues et repart sur Raiatea.
« Nous sommes là pour se soutenir »
Lors du deuxième voyage, près de 70 pirogues prennent le départ avec 108 prêtres, les kahuna, l’équivalent des Tahua en Polynésie française, et quelques familles. Les guerriers ouvrent la voie, les femmes et les enfants suivent à deux kilomètres des premières pirogues. Kupe les dirige vers le sud de la Nouvelle-Zélande, histoire que les premiers ne racontent pas l’intention du chef Kupe qui fera la même chose que la première vague de migration : brûler les pirogues. « Voici notre phase peuplement ! Lorsqu’on meurt, on dit que notre esprit doit retourner vers Hawaikii. Mais, finalement notre Hawaikii, aujourd’hui, c’est aussi la Nouvelle-Zélande », explique Rangimoana Taylor. « Beaucoup de nos histoires ont commencé à Raiatea. Nos enfants doivent connaître cette partie de la Polynésie. Nous sommes là pour se soutenir », confie l’homme de culture qui chantera en reo maori pour raconter d’autres histoires. « Si le langage universel est important, parler sa langue l’est tout autant ».
C’est aussi le message de Catherine Pont Icka-Hager, anthropologue, qu’elle passera dans le cadre de sa conférence : Le jour de la langue, à Rapa Nui.
Une langue écrite
Cet événement est aussi important et populaire que le festival d’arts pascuans, Tapati. L’anthropologue, spécialiste de Rapa Nui, revient sur les deux révolutions qui ont marqué la vie de l’île : 1914 et 1965. Et la disparition de la langue vernaculaire qui s’en est suivie. « En 1975, le ministère de l’Education du Chili a décidé de réintégrer la langue rapa nui à l’école. En 1990, on a reconnu cette langue en créant une académie », explique Catherine Pont Icka-Hager devant une assemblée, certes minime mais très active. « Ma mère me parlait Paumotu quand j’étais petite, mais les autres se moquaient de moi lorsque je le parlais ! », intervient Houariki, 34 ans, originaire de Napuka dans les Tuamotu Est, dont l’histoire des Rapa Nui résonne avec la sienne, et celle des autres Polynésiens. En effet, à l’école, les colons ont interdit aux Rapa Nui de parler leur langue, mais dans les foyers, les familles ont continué de la pratiquer. « C’est pour cela qu’aujourd’hui tous les enfants parlent le rapa nui. Par contre, nous avons perdu le Rongo Rongo ». L’île de Rapa Nui est l’unique île de Polynésie dont la langue était écrite sur des tablettes. Quelques anciens avaient ce savoir qui s’est perdu lorsqu’ils ont été emmenés par les Péruviens pour travailler dans les mines. Aucun de ces maîtres n’est revenu.
Pratiquer la langue
Aujourd’hui, il ne reste que 25 tablettes dans le monde qui se trouvent notamment au Sacré cœur à Rome. « C’est un paradoxe : les religieux ont brûlé les Rongo Rongo et aujourd’hui, ce sont eux qui les gardent », lance amusée l’anthropologue. « Est-ce que les gens se sont intéressés à traduire le Rongo Rongo ? » interroge une femme dans le public. « Oui. Mais, si on sait ce que les signes veulent dire nous n’arrivons pas à faire le lien entre eux », explique Catherine Pont Icka-Hager qui revient sur l’importance de parler sa langue et de l’événement Le jour de la langue à Rapa Nui. « Les jeunes sont présents et impliqués, c’est désormais un moment important dans la vie de l’île. Nous devons nous réapproprier notre langue, il ne faut pas avoir peur de parler, d’avoir un accent. L’essentiel est de la pratiquer ! ». L’assemblée applaudit, conquise par cette intervention au cours de laquelle elle a aussi appris l’origine du nom Rapa Nui. « J’ai enrichi mes connaissances, confie Matarii, 44 ans, Ces échanges gratuits entre Polynésiens, que nous offrent le festival, sont très importants ! Merci ».
Suliane Favennec