Débat 2 – Les rencontres numériques : Les clés du développement numérique polynésien
Les intervenants ont apporté leurs réponses et leur vision du développement numérique polynésien.
Manfred Chave, Directeur de l’OPT.
« Quelles sont les clés du numérique en Polynésie et quels sont les modèles de cette nouvelle économie numérique ? L’économie numérique, ce n’est pas gratuit : les progrès technologiques nous permettent de baisser les coûts et l’accès à ces services, mais il n’en demeure pas moins qu’ils représentent un coût. Je me souviens qu’aux Rencontres Numériques du précédent FIFO, un représentant de la chaîne métropolitaine CANAL + avait dit que l’avenir de la télévision était payant. J’ai envie de dire : l’économie numérique aussi ! D’autant plus dans des îles éloignées de l’offre de services disponibles du reste du monde. L’OPT a investit lourdement dans la mise en place du câble Honotua, 6 milliards de Fcfp pour être précis, sur un coût total de 9,5 milliards de Fcfp. Ce câble est remboursé par l’économie actuelle basée sur la téléphonie mobile et fixe. Aujourd’hui, il ne s’agit pas véritablement de trouver comment payer moins cher, mais de trouver comment ‘avoir plus’ au prix de l’offre actuelle. C’est, selon moi, le bon rapport. Il faut mettre en place des services facilitant le confort et l’accès à l’information pour chacun, avec des prix maîtrisés dans le temps. Je crois que ce qui sera véritablement structurant pour l’OPT et le développement de l’économie numérique en Polynésie réside dans davantage de sécurité dans le Haut Débit.
Car à l’heure actuelle, les géants comme Google par exemple n’investiront pas dans une technopole en Polynésie. Le câble n’apporte pas suffisamment de sécurité ; à la moindre coupure, tout le système est bloqué, il faut attendre les réparations. C’est impensable pour créer une technopole. L’évolution du numérique en Polynésie doit passer par la sécurisation des liens Haut Débit avec le reste du monde. A ce jour, on a plusieurs projets, notamment avec la Nouvelle-Calédonie (ndlr : qui est reliée depuis 2008 aux réseaux Internet internationaux via l’Australie), qui présente de nombreux avantages sensibles car cela nous permettrait de raccorder l’ensemble des pays sur le chemin, qui reçoivent toujours Internet via les satellites – autant dire la préhistoire numérique !
Depuis l’ouverture du câble en Polynésie en septembre, soit il y a tout juste 5 mois, les capacités du débit du câble ont déjà été multipliées par 5 ! Si on continue à cette allure, il sera nécessaire d’installer un deuxième câble dans les années à venir. »
Paul Dugue, Directeur de Mana.
« Avec le Haut Débit, l’environnement et la Polynésie s’adaptent aujourd’hui à de nouveaux enjeux. Le monde compte 2 milliards d’internautes aujourd’hui.
Il y a toujours une transition à adopter lors des révolutions industrielles majeures – le Haut Débit en est une. Avec Internet, on est en train de passer d’une consommation globale à une consommation unitaire : avant, on achetait un CD de musique avec 20 morceaux, aujourd’hui, on achète un morceau seulement, voire on le récupère illégalement. Cet exemple est valable dans de nombreux domaines, et même dans la presse : on peut acheter un article, l’intégralité du journal un jour, une semaine, un mois… On consomme de plus en plus à l’unité, le credo étant ‘je ne paye que ce que je consomme’. On est en train de voir arriver un nouveau modèle économique mais il va falloir en trouver un autre pour financer l’ensemble des infrastructures nécessaires à leur fonctionnement !
Aujourd’hui, Mana enregistre 30 000 abonnés mais on estime à 130 000 le nombre de personnes utilisant Internet régulièrement en Polynésie. A ses débuts, Mana était considéré comme le plus gros détracteur de l’OPT : le mail était censé tuer le courrier, le fax. Or, il se trouve qu’aujourd’hui, le partenaire le plus important de Mana, c’est l’OPT… qui transporte et achemine ce que les Internautes achètent sur Internet ! »
Guillaume Proia, membre du Conseil des entreprises de Polynésie française.
« Je rappelle que le CEPF est une organisation patronale représentant environ 15000 salariés, soit 54% des petites entreprises de 0 à 10 salariés. Notre rôle est de représenter et de défendre les intérêts des entreprises. Le développement de l’économie numérique ne passera pas autrement que par l’initiative privée. Nous devons définir des règles claires, mais devons également être certains de la stabilité politique du Pays, afin de pouvoir investir sur du long terme. L’ouverture de la concurrence est indispensable pour avoir des offres compétitives et pérennes. L’opérateur historique en Polynésie devrait partager la mise en place de ses réseaux sur le territoire avec de nouveaux opérateurs. A ce sujet, tout reste à faire.
Parallèlement, il y a une vraie culture du numérique à apporter aux entreprises pour leur permettre d’utiliser ces nouveaux outils. Car le numérique, c’est de la technologie mais c’est avant tout de l’humain, dans sa mise en œuvre comme dans ses usages. On a le devoir d’informer les entreprises pour qu’elles puissent monter en compétence, s’approprier un vocabulaire et des techniques leur permettant d’avancer. Si l’humain ne comprend pas ce qu’il est en capacité de faire, on ne pourra pas progresser. »
Bernard Benhamou, délégué aux usages de l’Internet.
« Chaque géographie, chaque pays à ses propres réalités économiques.
Mais je ne partage pas totalement le point de vue de Paul Dugue concernant le mode de consommation : je crois au modèle économique de l’abonnement. C’est le principe du gymnase club ! Un modèle qui tient sur une variation de consommation, entre ceux qui payent et surconsomment et ceux qui payent mais ne consomment pas ! Cet équilibre se tient. Je crois que l’on se dirige vers des coûts d’accès plus que des coûts unitaires. »
Le débat avec le public
Celui-ci s’ouvre avec un intervenant qui évoque la répétition des coupures Internet en Polynésie, représentant un réel obstacle professionnel au vue de la réactivité désormais attendue. Manfred Chave de répondre « nous travaillons depuis 3 ans sur un projet de remplacement du réseau en cuivre par des fibres optiques afin de renforcer la sécurité et la fiabilité du réseau. »
Puis les questions s’enchaînent : quelle valeur ajoutée la Polynésie peut-elle avoir en terme de développement numérique par exemple ? Le Directeur de l’OPT estime que le décalage horaire entre l’Europe et la Polynésie peut devenir un atout particulièrement intéressant car « quand on dort en Europe, on travaille en Polynésie… Il y a une réflexion à nourrir par rapport à cela. »
Et comment Internet peut être rentable ? « En fournissant du contenu de qualité », insiste Paul Dugue. « Les cinémas étaient en perte de vitesse, ils ont réussi à remonter en proposant la 3D. Il faut proposer aux Internautes de la qualité, de la haute définition. »
Karl Réguron, journaliste, est plutôt sceptique : « où est le progrès technologique en Polynésie alors que Mana ne fait que copier des modèles existant dans d’autres pays ? Comment peut-on parler de compétitivité ici alors que l’on paye cinq fois plus cher que n’importe où ailleurs pour un service moindre ? » « Le marché de l’Internet est de 50 millions en France, souligne Manfred Chave, et de 30 000 en Polynésie : il y a des écarts que l’on ne pourra jamais combler ! »
Autre remarque intéressante : Internet, générateur ou destructeur d’emplois ? Les professionnels ne sont-ils pas tentés de délocaliser les services dans des lieux moins coûteux ? Bernard Benhamou de préciser « aucun économiste sérieux ne peut répondre à cette question de la création / destruction d’emplois liées à Internet. La ‘croissance sans emploi’ est plus inquiétante, à savoir, ceux qui parviennent à créer une valeur massive par Internet sans avoir besoin de créer des emplois derrière. »
Une réflexion qui ne manquera pas de se poursuivre au cours des prochains débats…
Intervenants :
Michel Paoletti, Président des Rencontres Numériques
Bernard Benhamou, Délégué aux Usages de l’Internet,
Marcel Desvergne, Président Aquitaine Communication,
Manfred Chave, Directeur de l’OPT,
Paul Dugue, Directeur de Mana
Guillaume Proia, membre du Conseil des Entreprises de Polynésie Française (CEPF),