L’urgence de préserver la connaissance de la culture aborigène
C’est une nouveauté du Fifo 2015. « Inside the doc » propose une rencontre entre le public et les acteurs d’un film. Ce mardi 3 février, c’est notamment le producteur du documentaire australien Big Boss qui a répondu aux questions de Caroline Lafargue, de ABC Australia, puis à celles du public.
Au milieu du village du FIFO, sous le gigantesque arbre de la Maison de la Culture, le seul coin d’ombre de la place, Thomas Zubricky fait face à une petite assemblée, visiblement enchantée de l’écouter parler de son film. L’Australien est le producteur de Big Boss, un documentaire de 26 mn réalisé par Paul Sinclair qui raconte l’histoire d’une cheferesse, Baymarrwangga, âgée de 95 ans, clé de voûte de la connaissance et de la culture de sa communauté aborigène. « C’est vital et primordial de montrer ce type de sujets, explique le producteur avant de poursuivre. Si on ne fait pas ça, la culture et la langue risquent de disparaître. » Car Big Boss, comme elle est surnommée dans son village de l’île de Murrunga au large de l’Australie, est l’une des quatre dernières locutrices de sa langue : le Yan-nhangu. « Il y a un vrai sentiment d’urgence, Baymarrwangga souhaitait apporter à sa communauté une langue codifiée qui était jusqu’à présent un dialecte oral ». Dans le film, la veille dame est aperçue avec un anthropologue et une linguiste qui travaillent ensemble pour consituter un dictionnaire afin de préserver cette langue. « La réussite est extraordinaire. De 20 à 30 mots, le dictionnaire en contient aujourd’hui des milliers », s’enthousiasme Thomas Zubricky qui salue au passage la collaboration entre les aborigènes et l’équipe du film. Une entente possible notamment grâce à la gentillesse de Baymarrwangga qui, faute de pouvoir se déplacer au vu de son âge avancé, a demandé à sa communauté de coopérer.
Des réalisateurs aborigènes désireux de raconter leur histoire
C’est d’ailleurs un jeune indigène, originaire de cette île, qui a ramené l’histoire au producteur. « Aujourd’hui, il y a de jeunes réalisateurs aborigènes qui émergent, et c’est important », souligne Thomas Zubricky qui, ayant compris l’importance de ce film, a fourni au réalisateur une équipe de professionnels pour le tournage et le montage. «Beaucoup sont en difficulté aujourd’hui, il faut les aider car notre histoire a été trop souvent réecrite par les réalisateurs non indigènes. Et il y a beaucoup d’abus », s’insurge l’héroïne de Black Panther Woman qui, venue assister à ce « Inside the doc », dénonce à juste titre l’exploitation des non-indigènes sur l’histoire des aborigènes. « Etes-vous conscients que beaucoup d’entre eux se méfient aujourd’hui des films réalisés sur leur vie ? », interroge t-elle, le ton grave. « Oui ! », lâche le producteur qui rappelle que le documentaire a été montré à Baymarrwangga et sa communauté avant d’être finalisé. « Il était important d’avoir leur avis et savoir si il ne manquait pas des choses essentielles ». Finalement peu de changements ont été réalisés, le film a même rencontré un vif succès auprès de Big Boss qui a apprécié cette couverture sur un des aspects essentiels de sa culture. « Je crois qu’ils ont compris l’importance de cet enregistrement visuel, il va laisser une trace dans cette communauté ».
Un documentaire éducatif
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce documentaire a attiré l’attention du milieu éducatif australien. Diffusé au pays des Kangourous et vu par plus de 100.000 personnes, Big Boss sert d’outil éducatif. « Beaucoup d’écoles ont acheté les droits pour le diffuser, il y a un vrai intérêt pour ce film. On a d’ailleurs fait en sorte de proposer un format court pour un public plus jeune ». L’intérêt est double, il se porte à la fois sur la langue et la transmission du savoir mais aussi sur la place de la femme au sein des communautés aborigènes. « Les femmes ont une place bien définie dans la société indigène, tout comme les hommes. Et chacun doit tenir son rôle », confie Thomas Zubricky. Big Boss tient le sien à merveille.