Marlène Cummins : “Il est temps de rompre le silence”
Après des années d’errance, l’aborigène Marlene Cummins a choisi de libérer la parole et de raconter son histoire. Dans Black Panther Woman, elle revient sur son parcours, son engagement au sein du parti Black Panthers australien et les souffrances qu’il a fallu taire. Présente lors du festival du FIFO, elle a accepté de nous parler d’elle et, à travers elle, de nous parler de la condition de la femme aborigène dans son pays.
Dans le film, vous témoignez des conditions de vie difficiles des femmes aborigènes, pouvez-vous nous en parler ?
Il faut d’abord rappeler le contexte. Pour nous il n’y a pas eu une colonisation, mais une invasion. On a essayé de nous exterminer, de nous assassiner, de nous empoisonner. Beaucoup d’hommes aborigènes ont été assassinés, violentés devant leur femme, devant leur famille. C’était très cruel, l’idée était un peu de montrer qui était le “boss”. Les femmes, elles, n’étaient qu’un objet sexuel. Certains blancs coupaient les cheveux des petites filles pour faire croire que c’étaient des garçons qui travaillaient pour eux, mais en réalité, elles étaient des objets sexuels.
C’est dans ce contexte que vous avez rejoint les Black Panthers en 1972 ?
C’était un temps de prise de conscience politique, d’apprentissage du droit, un moment où on apprenait ce que cela signifiait d’être noir. Plusieurs femmes on rejoint le mouvement à l’époque.
Mais finalement vous avez subi au sein même du mouvement des violences et vous semblez ne pas être la seule. Pourquoi vous et les autres femmes avez gardé le silence ?
Nous nous sommes sacrifiées pour l’intérêt général. SI nous avions dénoncé les violences physiques et sexuelles, la police aurait assassiné les hommes aborigènes incriminés, les politiques et les médias se seraient immédiatement emparés de cette affaire pour dire ’regardez ce que font les aborigènes regardez ce qu’ils sont’, ils auraient condamnés toute la communauté. Nous devions protéger la communauté. Aujourd’hui encore, les médias dessinent régulièrement le portrait des aborigènes de façon très dévalorisante. Pour eux, les femmes se prostituent forcément et si les hommes sont violents c’est parce que c’est dans leur culture. Mais des hommes blancs sont aussi violents avec leur femme, il n’y a rien de culturel là dedans. C’est pourquoi nous avons préféré garder le silence et puis il y avait également le poids de la communauté aborigène qui est très fort.”
La parole de la femme aborigène n’était pas entendue ?
C’est encore le cas aujourd’hui. Si vous allez à la police dénoncer un viol, on vous dira que c’est vous la responsable, que c’est parce que vous aviez trop bu ou parce que vous êtes une prostituée. On ne vous prend pas en compte comme une victime.
Vous regrettez ce silence ?
Oui, mais vous savez, en participant au scénario du film, j’ai dû encore faire des compromis. Je n’ai pas eu le contrôle. Je n’ai pas pu tout dire, il a fallu encore faire des sacrifices. Je voudrais faire mon propre documentaire pour avoir une parole libre.
Dans le film, vous témoignez des dégâts causés par la violence auprès de la population féminine. Vous montrez que celle-ci est plus vulnérable à la pauvreté, à la prostitution, à la dépendance à l’alcool, aux drogues, etc. Vous avez-vous-même été sans domicile.
Oui, cela a été très difficile. Je ne suis pas une voleuse, mais j’ai parfois dû voler pour manger. Je ne suis pas une prostituée, mais j’ai parfois dû vendre mon corps pour survivre. J’allais d’hôtel en hôtel, parce que je ne savais quoi faire ni où aller. Tu bois, parce qu’on t’offre un verre et tu finis par être ivre. J’ai dû me battre contre mon addiction au jeu également.
Comment la communauté aborigène a-t-elle perçu le film ?
Certaines activistes du mouvement Black Panthers l’ont vu et m’ont demandé de pardonner. Mais je n’ai pas à pardonner.
Quel est le message que vous vouliez faire passer en racontant votre histoire ?
Je n’ai pas eu accès à l’éducation. Mon éducation est en réalité mon expérience face à la violence, à la brutalité, au viol. Il est temps de rompre le silence. Il est temps aussi que la justice et le système éducatif prennent en compte les aborigènes. J’entends souvent en Australie des revendications « Rendez nous nos terres !”, mais avant de parler des terres, traitons correctement les femmes, commençons par l’humain. Je ne veux pas de terre, je ne veux rien, je veux être respectée. Commençons par éduquer, protéger les femmes, et cela partout dans le monde.