[n°2] Tahiti Eté 1940
En 1940, la ville de Papeete est une petite bourgade coloniale. En 1939, elle compte quelques 19.000 âmes pour une population globale des Établissements français d’Océanie de plus de 40.000 habitants.
L’îlot de Motu Uta se tient près de la passe face à Papeete avec à la pointe de Fare Ute, la cale de halage, la base de l’escadrille E8 dotée de 3 hydravions (2 CAMS 55 et un CAM 37) et la station de TSF. Les bâtiments de la Marine se dressent côté océan, à l’angle de l’avenue Bruat aujourd’hui avenue Pouvana’a a O’opa.
Le quai des paquebots, la mairie, la poste en bois, l’hôtel du gouverneur, le Palais de justice, l’imprimerie officielle, la Cathédrale, le temple de Paofai, l’École centrale, l’École des Frères, l’École Vienot, l’Évêché se tiennent aux places de leurs bâtiments actuels. Un kiosque à musique pur style 1900 se dresse sur l’actuelle place Tarahoi. L’usine Martin située en face de l’ancien Zizou bar produit l’électricité de la ville.
La caserne de l’infanterie coloniale et ses bâtiments annexes sont aujourd’hui le siège de l’actuelle Présidence de la Polynésie française et du CESEC. Une batterie d’artillerie sur le mont Faiere surplombe la passe de Papeete. La compagnie autonome d’infanterie coloniale de Tahiti est commandée par le capitaine Félix broche.
Le monument aux morts de la Grande Guerre se dresse au bout de l’avenue Bruat au niveau de l’actuelle caserne de gendarmerie. Le palais de la reine se situe à la place de l’Assemblée de la Polynésie française. La maternité est occupée aujourd’hui par la direction de la santé. L’hôpital colonial se tient à l’actuel centre administratif de Vaiami.
La société tahitienne est coloniale, sa haute administration est métropolitaine comme les professions libérales. Ils sont commerçants patentés, gérants ou employés de maisons d’export-import, négociants en coprah et en vanille. Leurs négoces sont cependant fortement concurrencés par la communauté chinoise. La main d’œuvre chinoise venue pour la culture du coton et de la canne à sucre de la plaine d’Atimaono est devenue commerçante d’où l’expression : « Je vais chez le Chinois » ou usurière. Dans les districts et les vallées éloignées, le Chinois ravitaille les populations locales.
Il existe aussi une proportion non négligeable d’étrangers d’origine anglo-saxonne. Leur présence favorise la confession protestante ou celles d’églises américaines.
La population polynésienne de souche est majoritairement rurale : cultivateurs, pêcheurs et journaliers. Ils ne maitrisent que partiellement la langue française et sont souvent analphabètes. Seuls, quelques uns d’entre eux sont planton ou commis d’administration, caporaux et soldats à la caserne.
En revanche, les demi sont totalement intégrés dans le tissu tahitien et parlent la langue tahitienne ce qui n’est pas le cas des populations françaises de la colonie comme le souligne Emile de Curton, à l’exception des enfants, natifs de cette terre polynésienne à laquelle ils sont profondément attachés.
Emile de Curton souligne dans son Tahiti 40 ce déséquilibre social : (…) Bien peu de Polynésiens avaient une connaissance convenable du français : la vitalité de la langue maorie conjuguant ses effets avec l’insuffisance de formation des enseignants indigènes limitait à un très faible pourcentage le nombre de Tahitiens capables de converser avec un popaa. Bien entendu, aucun popaa à l’exception de quelques originaux ou encanaqués n’apprenait le maori.
Henri Vernier : Albert, et moi-même étions nés tous les deux sous le soleil glorieux des tropiques. Nous avons grandis ensemble à Raiatea, dans l’Eden exubérant de cette terre fameuse des Iles-Sous-le Vent en Polynésie.
Les Tahitiens ne sont pas tous citoyens français. La loi du 30 décembre 1880 en déclarant colonie française, l’île de Tahiti et les archipels qui en dépendent a attribué la nationalité française aux indigènes originaires des anciens Etats des rois de Tahiti et leurs descendants : Tahiti, Moorea, Tetiaroa et Mahatia groupés sous l’appellation des îles Tubuai et Raivavae. Les populations des îles Sous-le-Vent, les îles Marquises et les Gambier sont sujets français. Rapa est annexée en 1887 et les îles de Rurutu et de Rimatara demeurées indépendantes ont été placées en 1889 sous le protectorat français. La pleine citoyenneté française ne sera accordée aux sujets des Établissements français d’Océanie qu’en 1946.
Certaines familles ont souvent des sentiments anti français. Ils sont influents et dans leurs cercles se recrutent les corps élus.
Les distractions sont rares. Les intrigues mondaine et politique font le ravissement de la petite colonie confinée d’Océanie.
Le gouverneur Jean Chastenet de Gery détient les pleins pouvoirs.
Le gouverneur nomme les chefs de districts car Papeete élit seule un maire.
Le conseil privé, organe consultatif mais inoffensif pour le gouverneur comprend le secrétaire général Brunet, le chef du service du domaine et des contributions ainsi que des citoyens domiciliés dans les EFO depuis 5 ans.
Les personnalités de la société civile membres du conseil privé sont Georges Bambridge, maire de Papeete, Edouard Ahnne, directeur d’école et conservateur du musée, Emile Martin industriel, Georges Lagarde, chef honoraire du service des douanes et suppléant le chef de Papenoo, Teriieroo a Teriierooiterai.
Georges Bambridge est né le 1er juin 1887 à Pirae. Il est élu maire en 1933 et décède le 19 janvier 1942 à l’âge de 55 ans.
Edouard Ahnne est né le 1er décembre 1867 dans le Doubs. Il arrive à Tahiti le 26 août 1892 comme missionnaire de la Société des Missions évangéliques de Paris et adjoint de Charles Vienot directeur des écoles protestantes de Papeete. En 1903, il est le directeur de l’Ecole protestante des garçons, fonction qu’il assume pendant 32 ans.
Conservateur du musée, il est membre éminent de la Société des études océaniennes fondée en 1917.
Emile Alexandre Martin est né à Papeete le 1er décembre 1879. Après des études à San Francisco, puis à Grenoble, il revient à Tahiti en 1896 où il reprend le magasin de son père. En 1917, il rachète une petite usine électrique. En 1930, il est Vice président de la Chambre d’agriculture. Il est membre du Conseil privé en 1933. En 1936, il rachète la Brasserie de Tahiti.
Georges Lagarde est né le 26 janvier 1867 à Papeete. Il débute dans l’administration comme écrivain auxiliaire puis est interprète assermenté en langue tahitienne. Administrateur aux îles Marquises et aux îles sous-le-vent, il termine sa carrière comme chef du service des douanes.
Le décor de la société tahitienne de l’été 1940 est maintenant posé. L’annonce de l’armistice et l’appel du général de Gaulle vont bouleverser ce microcosme du grand océan Pacifique.
Portrait
Le Gouverneur Jean Chastenet de Gery
Il n’existe que peu de références biographiques de Jean Chastenet de Gery. Diverses descriptions de sa personne sont souvent celles de ses contemporains de l’été 1940, collaborateurs ou de ses opposants.
Né le 5 mai 1889 à La Rochelle, licencié en droit et diplômé en Sciences Politiques, le Gouverneur de Géry était un homme distingué, cultivé, d’une intégrité reconnue. Inspecteur des colonies, il exerçait pour la première fois des fonctions de chef de territoire. Il avait l’art de différer avec une grande habilité toute décision dans l’attente d’une instruction formelle du pouvoir central. Ce haut fonctionnaire colonial distant de ses collaborateurs comme de ses administrés ne les recevait que très peu.
Ses contacts avec la population locale étaient limités aux seules manifestations officielles.
Il ne prendra jamais position dans la crise de l’été 1940 sans pour autant être inactif en la matière, cas de la promulgation de la loi du 13 août 1940 interdisant les sociétés secrètes.
Déposé au profit d’un triumvirat de conseillers privés, le gouverneur Jean Chastenet de Gery quitte Tahiti le 13 septembre 1940 sur le cargo mixte Limerick, pour Vancouver en Colombie britannique.
De Curton indique qu’il occupera auprès de l’Amiral Platon, Secrétaire d’Etat aux Colonies un poste important.
Il est l’auteur des derniers jours de la troisième République à Tahiti, 1938-1940.