[n°3] La Compagnie autonome d’infanterie coloniale (CAICT)
La troupe d’infanterie coloniale en station à Tahiti va tenir une place prépondérante dans les évènements qui vont bouleverser la lointaine colonie française du Pacifique, de la déclaration de guerre en 1939, à l’armistice de juin 1940 et le ralliement des Établissements français d’Océanie à la France libre en septembre 1940.
La compagnie autonome d’infanterie coloniale plus connue sous son acronyme CAICT et son officier en commandement le capitaine Félix Broche se voient d’abord privés en septembre 1939 d’une participation à la défense de la France. Lors de l’armistice, la CAICT devra se confiner à une totale allégeance au gouvernement de Vichy représenté par le gouverneur Chastenet de Gery alors que les Anglais appellent la colonie française du pacifique à poursuivre la lutte à leurs côtés. La garantie de lever un corps expéditionnaire dans les pas du glorieux bataillon mixte du Pacifique de la Grande Guerre la fait finalement pencher dans le sillage de la France libre.
Dès le 3 septembre 1939, l’officier de carrière qu’est le capitaine Félix Broche est frustré que la guerre soit si lointaine. Félix Broche exprime le souhait de rejoindre le front de France. Mais pour le gouverneur Chastenet de Gery, le seul officier d’active de l’Océanie française dont il dispose doit rester organiser la défense de l’île. Le 22 septembre 1914, la ville de Papeete avait été attaquée par une escadre allemande.
Le 3 septembre 1939, la mobilisation permet donc au capitaine Broche de compter sur quelques milliers de réservistes. Mais, faute d’armement et d’équipements seuls 200 d’entre eux sont incorporés dans les rangs de la compagnie autonome d’infanterie coloniale.
Dans une de ses notes le capitaine Broche indique détenir dans son armurerie 42 fusils, 152 mousquetons, 20 pistolets de 7,65, 1 révolver de huit millimètres, 4 fusils mitrailleurs, 4itrailleuses, 6 troublons. Et avec ça, 46.000 cartouches pour fusils et mitrailleuses, 9.000 pour fusils mitrailleurs, 62 pour pistolets, plus de 280 grenades offensives.
Jean Tracqui, de la classe 37, après un service militaire de huit mois environ fait partie des rappelés sous les drapeaux. Il témoigne : Nous n’avions alors que peu d’équipements, de vieux fusils lebel et quelques mousquetons.
Des armes automatiques ainsi que 2 pièces de 47 mm sont montées sur les plateaux de quelques camions réquisitionnés. Le mont Faiere dispose d’une batterie de 2 pièces de 100 mm et de 2 pièces de 6.5.
La conscription n’est cependant applicable qu’au territoire de la colonie. Le front de France n’est réservé qu’aux volontaires.
Des postes de guet sont installés autour de l’île et notamment dans les anciens fortins des guerres franco-tahitiennes.
Les soldats mobilisés débutent leur instruction. Le commerçant Robert Hervé qui a effectué deux ans de préparation militaire à Saint- Maixent a obtenu un brevet de chef de section. Félix Broche lui confie le commandement d’une section ainsi que celle du peloton des élèves caporaux. On relève notamment sur la photo de la démobilisation partielle de la CAICT en août 1940, qu’il est vêtu de son costume ayant quitté précipitamment son entreprise.
L’armistice du 22 juin 1940 ranime le vent de guerre de la colonie et de sa troupe pour poursuivre la lutte aux côtés des Anglais.
Jean Roy Bambridge indique dans son journal de route que lorsque tombe la nouvelle de l’armistice, le consulat anglais demande des volontaires pour continuer la lutte aux côtés des anglais. Il se précipite et son nom figure parmi les premiers. Son engagement sera finalement annulé lorsque les EFO vont rallier la France libre.
Si le 23 juin 1940, le gouverneur Chastenet de Gery sous l’impulsion de la Marine et des notables locaux envisage de poursuivre la lutte, il se soumet finalement aux instructions du gouvernement de Vichy.
Le ralliement à la France libre aura impérativement pour préalable une position neutre voire passive de la CAICT vis-à-vis de ses partisans conduit par le Groupe de Mamao et le Comité de la France libre : que la troupe ne tirera pas ! Le capitaine Félix Broche pose contre la neutralité de sa troupe la levée d’un corps expéditionnaire tahitien qu’il conduira.
Le 2 septembre 1940, la colonie rallie la France libre. Le 9 septembre 1940, un millier de volontaires affluent à la caserne Bruat pour s’engager. Dix anciens Poilus tahitiens réengagent. Six d’entre eux partiront avec le bataillon du Pacifique.
Ils seront 300 à constituer le 1er corps expéditionnaire tahitien qui quittera Tahiti le 21 avril 1942. L’absence de bateau explique les délais courus pour l’embarquement des Tamari’i Volontaires. La Nouvelle Zélande réquisitionne un des ses bateaux le Monowai pour leur transport jusqu’en Nouvelle Calédonie où les volontaires du Caillou les attendent. La Nouvelle Zélande fournit aussi aux volontaires tahitiens les draps et les toiles militaires. La communauté chinoise, interdite d’enrôlement dans l’armée, mobilise ses nombreux tailleurs pour confectionner rapidement les uniformes nécessaires. Si la coupe n’est pas soignée elle vaut mieux que les chemises de flanelle de nuit teintes en couleur kaki fournies lors de l’enrôlement. Elle dote par ailleurs les volontaires tahitiens d’une valise en bois. Cet uniforme accompagnera les volontaires jusqu’à ce que ces derniers soient équipés par les Australiens à Liverpool Camp.
Les autres volontaires tahitiens devant constituer le second contingent ne partiront finalement pas pour le front. Ils sont affectés à la défense de Tahiti après l’attaque japonaise de Pearl Harbor en décembre 1941.
Les Tamari’i Volontaires se couvriront de gloire dans les rangs du Bataillon du Pacifique notamment à Bir Hakeim, en Italie et en Provence avant de ne revenir à Tahiti que le 5 mai 1946. Soixante seize de ces Tamari’i Volontaires ne reviennent pas.
La mémoire a gardé de leur épopée leur chant : Tamari’i Volontaires composé par le caporal-chef Pea Tutehau, qui dédie son chant aux tamarii no te batterie, enfants de la batterie du Mont Faiere. Les enfants de la batterie seront remplacés par les Tamarii volontaires.
Tamarii Volontaires | |
Refrain
Matou teie Tamari’i Volontaires Tei ratere mai na te ara e Te faarii nei matou I te ture No to tatou hau metua |
Nous sommes les Tamarii Volontaires, Qui partons pour l’étranger Et qui nous soumettons A la loi de notre Mère patrie. |
Teie mai nei to mau tamarii
O ta oe titau mai nei Tera roa ia o tona tauraa Te vahi no te pohe |
Nous sommes les enfants
Que tu as appelés Et qui ne connaîtront de repos Que sur le champ de bataille |
Biographie : Félix Broche.
Sources Tamari’i Volontaires
Félix Broche est né à Marseille le 5 avril 1905.
Il passe son enfance à Remoulins dans le Gard avant de gagner en 1923 le Dahomey pour y travailler.
En 1926, appelé sous les drapeaux, il est incorporé à Aix-en-Provence au 22e Régiment d’Infanterie coloniale. Il suit les cours des élèves officiers de réserve à Saint-Maixent pour servir comme sous-lieutenant dans les rangs du 10e Régiment sénégalais à Tunis.
Il embrasse la carrière militaire, pour préparer les cours des élèves officiers d’active.
Nommé lieutenant le 15 mai 1929, il est affecté en Tunisie puis à Madagascar pendant trois ans avant de revenir à Tunis.
Le capitaine Félix Broche est affecté au commandement du détachement d’Infanterie coloniale de Papeete où il arrive en juillet 1939.
Il prend ensuite le commandement de la Compagnie autonome d’Infanterie de marine à Tahiti. Le 2 septembre 1940, il rallie la France libre.
Le 24 septembre il est appelé à Nouméa et quitte Tahiti en octobre 1940 pour la Nouvelle-Calédonie où il s’attache à mettre sur pied un corps expéditionnaire composé des volontaires des Établissements français d’Océanie, de Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles Hébrides.
Le 1er février 1941, il prend le commandement du 1er contingent du corps expéditionnaire du Pacifique fort de 600 hommes.
Son bataillon est incorporé dans les rangs de la 1re Brigade française libre. En octobre 1941, il est promu lieutenant-colonel.
La brigade française libre reçoit l’ordre de relever une unité britannique à Bir Hakeim.
Le lieutenant-colonel Félix Broche que les Tahitiens surnomment Papa est tué le 9 juin 1942. Il est fait Compagnon de la Libération.