[n°4] Le Comité des Français d’Océanie
Si la poursuite de la guerre aux côtés des Alliés anime les populations de Tahiti, tous n’ont pas leur ferveur.
Le 10 août 1940, un Comité français d’Océanie est créé par M. Lainey, président des anciens combattants. Il se revendique des Croix de feu, groupement d’anciens combattants de la Grande Guerre d’obédience nationaliste. Le 6 février 1934, les Croix de feu sont les instigateurs d’une tentative de putsch avorté contre le gouvernement d’Edouard Daladier.
Ce Comité d’Océanie favorable au maréchal Pétain a pour programme de combattre toute propagande étrangère ou antinationale dirigée contre la France et son gouvernement.
Leur programme d’action est éloquent : sur un plan spirituel dépister et dénoncer toute propagande, attitude ou activité relevant du communisme ou de la Franc-maçonnerie. Propager les idées de patrie, de famille, de travail, telles que les personnifie le Maréchal Pétain, chef de l’Etat français.
Le Comité français d’Océanie exige du gouverneur une proclamation solennelle en ce sens.
Sur un plan pratique, le programme d’action du Comité des Français d’Océanie réclame l’épuration des cadres administratifs de tous ses éléments communistes, bolchevisants, anti-français ou inutiles…d’obtenir des autorités, l’interdiction à tous les Métèques naturalisés ou non de remplir des fonctions publiques ou électives…en résumé, s’associer par tous moyens à l’œuvre de restauration nationale du gouvernement français.
La loi du 13 août 1940 portant interdiction des associations secrètes et promulguée en Océanie française le 21 août 1940 par le Gouverneur Chastenet de Gery matérialisera la doctrine nationale du maréchal Pétain. Elle exigera de tous fonctionnaires, agents de l’Etat, employés de concessionnaires de services ou d’entreprises publiques leur engagement de n’avoir jamais appartenu aux associations interdites ou qu’ils ont rompu avec elles définitivement.
La loge maçonnique de Papeete malgré sa mise en sommeil est directement visée ainsi que la saisie de leurs biens comme décrété par la loi du 19 aout 1940. Or, Emile de Curton nous livre dans son Tahiti 40 que le Vénérable de la loge n’est autre que le Maire de la ville de Papeete Georges Bambridge. Dès le 21 août, il a été convoqué par le gouverneur pour l’application de la mesure.
La rumeur publique indique que plusieurs notables de la place sont aussi francs-maçons et qu’au sein de la loge se règle souvent l’organisation de la vie publique de la colonie.
La dissolution de toute association, tout groupement de fait s’appliquait aussi au Groupe de Mamao, constitué autour de la famille de l’industriel Emile Martin.
Les ferments de la désobéissance civile sont désormais posés. Elle bénéficiera aux partisans de la France libre.
Le comité des Français d’Océanie est mené par le Dr Florisson militant d’Action française avec à ses côtés un sympathisant réputé nazi Hubert Rusterholtz et les Docteurs Rosmorduc et Pierre Cassiau.
Le Dr Pierre Cassiau est né le 13 avril 1906 à Rikitea. Il est le fils du Dr Fernand Cassiau, ancien combattant de la Grande Guerre qui a été engagé en Champagne puis à Salonique dans les rangs de l’armée d’Orient. Ce statut d’ancien combattant a certainement motivé son allégeance au Maréchal Pétain. Fernand Cassiau sera par ailleurs maire de la ville de Papeete de 1922 à 1933. Pierre Cassiau fait ses études de médecine à la faculté de Montpellier et de Paris. Il sert en Syrie de 1927 à 1929 avant de revenir s’installer à Papeete.
Alain Gerbault rejoint le Comité des Français d’Océanie.
Alain Gerbault, héros de la Grande guerre, grand joueur de tennis et auteur est célèbre pour son tour du monde accompli en solitaire sur son cotre Firecrest de 1923 à 1929. Défenseur des îles d’Océanie et de sa culture, vêtu de son éternel et très court pareo, il rencontre rapidement l’hostilité de l’administration française, des missionnaires et des colons.
Ils seront 18 signataires favorables au Maréchal lors du plébiscite du 2 septembre 1940. La colonie une fois ralliée à la France libre, certains de ses récalcitrants résidents de Tahiti sont d’abord internés à la prison de Tipaerui avant d’être transférés sur l’île de Maupiti pour isolement, cas des docteurs Florisson et Cassiau et de Hustin Villerme. Rusterholtz a gagné l’Indochine et Alain Gerbault a repris la mer pour Timor où il décèdera.
Pierre Cassiau racontera les conditions ubuesques de son arrestation et de sa détention à Maupiti : Je me tenais devant la poste lorsque qu’un adjudant fraîchement promu lieutenant me notifie mon arrestation pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Chaque arbre dissimulait un soldat, fusil au poing. Je suis conduis à la prison de Tipaerui où je retrouve le Dr Florisson, Anthelme Buillard, Justin Villerme, Fuller qui ont été arrêtés deux jours plus tôt (…) Nous sommes ensuite transportés, le Dr Florisson, Justin Villerme et moi-même dans l’île de Maupiti. J’avais amené avec moi quelques trente caisses de conserves et autres nécessaires qui vont me servir à monnayer la location d’un bout de terrain et la construction d’un fare : cent niau valaient une boite de corned-beef, dix planches une savonnette.
A grand renfort de farine et de riz, les insoumis gagnent rapidement la confiance de la population de l’île. La ville est rebaptisée Port Laval, dispose d’une avenue du Maréchal Pétain, d’une place Darlan etc…
Le Dr Cassiau séjournera un an à Maupiti avant de retrouver l’île de Tahiti.
Biographie : Alain Gerbault
Alain Gerbault est né le 17 novembre 1893 à Laval en Mayenne. Il est issu d’une famille aisée d’industriels. C’est un adolescent rebelle qu’anime le goût de la compétition. En 1914, il réussit le concours d’entrée de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées.
Lors de la première guerre mondiale, il se distingue dans l’escadrille des Loups puis dans l’escadrille des Renards, l’escadrille SPA 31 et l’escadrille SPA 165. Alain Gerbault est titulaire de deux citations : Le 17 mars 1917, a attaqué en reconnaissance 3 appareils ennemis en a abattu un pour revenir avec son appareil traversé de 20 balles. Pilote de chasse remarquable, volontaire pour toutes les missions, a abattu avec deux autres pilotes, un avion biplace de réglage.
Après la guerre, il réintègre l’Ecole des Ponts et Chaussées mais se désintéresse de sa formation d’ingénieur. Il participe à de nombreux tournois de tennis pour accéder notamment aux finales de Roland Garros et l’Us Open.
La mer l’appelle ensuite.
Alain Gerbault quitte Cannes le 25 avril 1923 pour accomplir en solitaire un tour du monde sur son cotre de 11 mètres le Firecrest. Lors de ce premier périple, il découvre l’Océanie pour séjourner 5 mois aux Gambiers et aux Marquises, 2 mois à Tahiti avant de poursuivre son périple aux Samoa, Wallis, Fidji, les Nouvelles Hébrides puis le détroit de Torrès et l’Océan indien. Ses livres forgeront sa notoriété et notamment : Seul à travers l’Atlantique, A la poursuite du soleil et Sur la Route du Retour.
Alain Gerbault reviendra en Océanie en 1933 pour se passionner et défendre les populations polynésiennes contre l’administration coloniale, le clergé et les colons. Son livre l’Evangile du soleil dénonce tous les méfaits de la civilisation sur les populations polynésiennes.
Il collecte leurs légendes, leurs généalogies et leur folklore. Il a le souhait que les populations polynésiennes retrouvent leurs traditions, le goût du travail et des sports.
L’armistice de 1940, le fait rallier le Comité des Français d’Océanie favorable au Maréchal Pétain. Alain Gerbaut est proche de l’Action française. Le ralliement des Etablissements français d’Océanie à la France libre le contraint à reprendre la mer pour gagner l’Indochine.
Il quitte l’Océanie française pour atteindre la Nouvelle Guinée, puis en août 1941 Delli sur la côte nord de Timor. Très affaibli et malade, il y décède le 16 décembre 1941. Ses restes mortels seront retournés à Bora Bora, son île de prédilection.