Pouvanaa, l’élu du peuple – La mémoire rétablie
Le Grand Théâtre était plein à craquer mercredi lors de la première projection du documentaire de Marie-Hélène Villierme, « Pouvanaa, l’élu du peuple ». Le public a pu vivre ce retour vers le passé nécessaire, permettant de dénouer certains aspects de l’histoire de la Polynésie. On en sort le cœur serré et la gorge nouée, car on se dit que peut-être, sûrement, sans doute, éventuellement le destin de la Polynésie aurait été bien différent si Pouvanaa avait été là.
Marie-Hélène regarde, le cœur battant, la foule entrer dans le Grand Théâtre. Elle a encore du mal à croire que tout ce monde a fait le déplacement pour voir son documentaire. Mais elle n’oserait s’en réjouir car c’est le « après » qui lui importe. 90 minutes de documentaire, de plongée dans les archives d’une période qui est, pour la jeune génération, floue et lointaine. Mais dont les faits ont été tellement décisifs qu’ils ont scellé l’avenir de la Polynésie, bien plus que beaucoup d’entre nous ne pouvait l’imaginer. Cet enfant de Huahine s’engage en 1918 dans le Bataillon du Pacifique, il revient un an plus tard au Pays et décide de s’installer à Tahiti, sans ambition particulière. C’est pourtant là qu’il découvre la véritable situation des Etablissements Français d’Océanie, celle d’une administration coloniale qui fait fi des particularités locales. Il a, comme la majorité de la population, le sentiment d’être étranger sur sa propre terre car les activités politiques et économiques lui échappent. Son combat contre le gouvernement commence alors mais les difficultés qu’il rencontre à partir de 1942, en luttant contre l’administration, l’amènent à des condamnations et à l’exil dans les Îles éloignées, avant d’être finalement acquitté. En 1949, 1951 et 1956, il est élu député et fonde entre temps son parti, le Rassemblement Démocratique des Populations Tahitiennes (RDPT). De témoignages en archives, on comprend à quel point Pouvanaa a éveillé les Tahitiens à la conscience politique. Mais l’acharnement de ses adversaires affaiblit son gouvernement au moment où De Gaulle revient au pouvoir. Lors du référendum de 1958 qui offre aux populations d’outre-mer le choix entre garder des liens avec la France ou obtenir l’indépendance, il demande aux électeurs de voter « Non ». Le « Oui » l’emportera avec 64% des voix. Le gouverneur en place et les opposants de Pouvanaa cherchent alors à l’éliminer de la scène politique. « Sa présence est préjudiciable pour les intérêts de la France », dira même De Gaulle, qui voit en Pouvanaa un adversaire encombrant pour le projet qu’il mûrit : l’installation du CEP. Pouvanaa est alors victime d’un piège : il est arrêté chez lui le 11 octobre, accusé de préparer avec ses partisans un incendie à Papeete. C’est une machination. Il clame son innocence et est condamné à huit années de réclusion et à quinze années d’interdiction de séjour en Polynésie. Un procès que l’historien Jean-Marc Regnault et la magistrate Catherine Vannier qualifieront de « colonial ». Exilé en région parisienne, Pouvanaa reçoit de temps à autre la visite d’élus polynésiens et notamment de Jaques-Denis Drollet, à qui le metua demande même de défendre la « départementalisation de la Polynésie »… La faiblesse de Pouvanaa, c’est son Pays, il voit dans l’obtention de ce statut l’unique solution pour rentrer enfin chez lui ! Et mieux le révolutionner ensuite. Après différentes mesures de grâce, il peut rentrer à Tahiti en novembre 1968 où il est accueilli comme un héro. En 1969, il est amnistié et en 1971, élu sénateur. Gracié, amnistié mais pas innocenté. Et bien qu’il ne cessera de réclamer la révision de son procès devant les tribunaux, Pouvanaa affirme : « Je n’éprouve ni haine ni rancune. La France est une grande nation et c’est pour cela qu’elle me rendra justice. ».
Une vraie douche froide
Le public est sorti de la salle le regard hagard et parfois humide, littéralement sous le choc. Le sentiment d’avoir été trahi par la « raison d’Etat » et de découvrir une vérité avec un train de retard. Tant d’émotions, c’est un peu douloureux. Surtout quand on se demande ce qui aurait pu se passer « si ». Car la question que tout le monde se pose est « si Pouvanaa avait été là, aurait-il pu empêcher l’installation du CEP ? Le cours de notre histoire aurait-il été différent ? » Au bénéfice du doute, on se plait alors à imaginer un autre avenir à la Polynésie, qui aurait peut-être ressemblé davantage aux Polynésiens… « Ce documentaire pose beaucoup de questions, affirme une spectatrice. Il est nécessaire et émouvant. J’espère que nos politiciens vont le voir car Pouvanaa montre l’exemple : il a toujours refusé de monnayer ses principes. » Une autre de réagir : « J’ai 41 ans et je découvre seulement l’histoire de Pouvanaa. Je suis venue avec mon fils de 10 ans pour qu’il ait l’opportunité, à son âge, de comprendre le rôle que cet homme a joué ». Mais encore : « Jusqu’à aujourd’hui, on n’avait que des bribes sur Pouvanaa. Ce documentaire rétablit une période charnière de notre histoire et pose une question essentielle : le bonheur est-il dans ce que l’on vit ou dans ce que l’on est ? Pouvanaa voulait ‘être’, tandis que d’autres voulait ‘avoir’. Moi, j’ai choisi ».
A quelques semaines du premier tour des présidentielles, le président Sarkozy a affirmé dans son « message aux Polynésiens » vouloir l’ouverture des fonds d’archives qui pourraient permettre la réhabilitation de Pouvanaa. La synchronisation est bluffante.
I.B