« BASTARDY »
Ou l’histoire de Jack Charles, dépendant de l’héroïne, qui oscille depuis 40 ans entre une vie criminelle et une carrière réussie d’acteur, a manqué d’une seule voix le grand prix du jury de ce FIFO 2010. Ça méritait que l’on en apprenne un peu plus.
Interview avec Amiel Courtin-Wilson, le réalisateur.
Comment as-tu connu ton personnage, ce fabuleux et si attachant Jack Charles ?
Jack est un vieil ami de ma famille. Ma mère l’a connu quand elle avait 15 ans : elle avait l’habitude d’aller au théâtre et de le voir là-bas. C’était un bon ami de mon oncle qui écrivait des pièces de théâtre. Moi, je ne l’avais jamais réellement rencontré mais j’avais entendu parler de l’histoire mythique et romantique de cet acteur.
Comment en es-tu venu à le rencontrer ?
J’avais fait trois documentaires, et j’étais à la recherche d’un nouveau sujet pour mon prochain film. Mon oncle m’a dit que Jack venait récemment de jouer à Sydney et qu’il était de retour à Melbourne. La première fois que je l’ai vu, j’avais presque 22 ans, et j’ai tout de suite su qu’il fallait que je fasse un film sur lui.
Comment s’est passée votre rencontre ?
On s’est vu dans un café, j’avais ma caméra dans mon sac à dos – juste au cas où. On a commencé à parler et au bout de deux minutes il m’a dit « pourquoi tu ne commences pas à me filmer, tu devrais filmer cette conversation ». Il m’a immédiatement fait sortir ma caméra. Et dès ce moment, il m’a véritablement fait entrer dans sa vie. Aujourd’hui, j’ai 30 ans. C’était une belle manière de passer ma vingtaine.
Tu as mis sept ans à faire ce film, qu’est-ce qui explique que ça ait pris tant de temps ?
En commençant, je pensais, comme pour les autres, que ça allait me prendre trois mois. Mais ça a été très difficile de trouver des financements parce qu’évidemment, la vie d’un héroïnomane sans abri, un « original junky », n’intéressait pas vraiment les chaînes de télévision. J’ai d’abord filmé pendant quatre ans avant d’obtenir quelque chose mais à cette époque, le film n’était pas du tout ce qu’il est aujourd’hui. Il était plus conventionnel, avec beaucoup d’apparitions de Jack dans ses films et à la télé, d’autres acteurs, plusieurs interviews en tête-à-tête…
Qu’est-ce qui t’a décidé à le faire moins conventionnel ?
La tournure qu’a pris sa vie. Les jours choisis dans le film sont devenus le véritable propos de l’histoire. Le fait qu’il ait été choisi pour figurer dans un film, qu’il ait obtenu son premier appartement… Ces évènements sont devenus plus importants que sa carrière d’acteur. Ils sont davantage tournés vers la rédemption d’un homme et la re-naissance d’un être humain.
Donc après avoir obtenu les premiers financements, tu as tourné encore pendant trois années … Est-ce que ce n’était pas difficile de le filmer alors qu’il prenait de l’héroïne ?
Ce n’était pas évident de trouver des moments de lucidité. En fait, on avait pris l’habitude de tourner à des moments bien précis de la journée, sinon, il était défoncé. On a appris à travailler ensemble. Je devais aussi lui donner de l’argent parce qu’autrement il aurait passé toutes ses journées à essayer d’en trouver donc on n’aurait jamais eu le temps de faire le film. Alors chaque fois qu’on filmait, je lui donnais 50 dollars pour la journée. Avec ça, il allait acheter de l’héroïne. Donc le lendemain, on ne filmait pas, et j’essayais à nouveau de trouver plus d’argent.
Ça n’a pas dû être simple…
La plus grande difficulté c’était de l’aider finalement. Pour quelqu’un qui a été si éprouvé dans la vie (arraché à sa famille et placé dans un foyer pour garçons où il a été abusé…), il est très ouvert, généreux et optimiste, comme un enfant en un sens. C’était difficile de le voir dormir sous les ponts, dans la rue. Quand il est allé en prison en 2002, je n’ai évidemment pas pu le filmer. On est devenu plus proche : on était plus seulement dans une relation de réalisateur à personnage. C’est devenu une amitié.
Cette amitié a été j’imagine la pierre angulaire de l’histoire ?
C’est ce qui fait que le film existe. Ce film, c’est en quelque sorte une lettre d’amour à Jack, un cadeau à son attention. Le plus dur a été d’arrêter de filmer car notre relation était fondamentalement basée sur ce processus d’interview. Donc ça a été très bizarre d’avoir soudainement terminé le film. On avait l’habitude de plaisanter ensemble en disant que le seul moment où l’on arrêterait de tourner ce serait à sa mort. Je suis heureux qu’on ait fini avant.
Est-ce qu’il a vu le film ?
Oui. Il n’a voulu voir aucun des rushs mais juste le film tel qu’il est maintenant. On s’est assis ensemble, on s’est pris le bras, main dans la main. Il a commencé à pleurer, j’ai pleuré aussi. Il m’a serré très fort et m’a dit « tu as fait du bon boulot ». « Merci Jack, tu as bien bossé aussi », lui ai-je répondu. Il était heureux, moi aussi. En fait j’avais très peur de sa réaction, parce que certaines scènes le montrent vraiment drogué. Mais parce qu’au moment où on a terminé le film, il avait décroché de l’héroïne, il a pu tourner cette page importante de son voyage.
Et ce 1° prix spécial du jury ?
Je me sens privilégié, très heureux et honoré que le film soit montré à un public international parce que plusieurs fois quand j’essayais de trouver des financements on me disait que c’était une histoire trop « locale ». Recevoir ce prix montre finalement que l’histoire de Jack est universelle. En plus, c’est mon premier prix international. Je me sens « over the moon ».
Avez-vous des projets avec Jack ?
On écrit actuellement un livre sur sa vie, avec des photographies et des passages manuscrits par lui. On a également enregistré quelques chansons. Enfin, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. It keeps going !