Virginie Adoutte : « Il fallait que l’histoire de Rapa Nui soit enfin racontée et montrée »
Habituée à produire des films sur la colonnisation, Virginie Adoutte s’est intéressée pour la première fois à une histoire du Pacifique. Et pas n’importe laquelle. Rapa Nui, l’histoire secrète de l’île de Pâques raconte pour la première fois l’histoire de ce peuple colonnisé, exploité et enfermé par des militaires sur l’ordre du Chili et sous l’influence d’une compagnie lainière installée sur l’île. Une histoire jusqu’alors inconnue ou en tout cas méconnue. La productrice Virgine Adoutte revient pour nous sur les dessous de ce documentaire émouvant et nécessaire.
C’est la première fois que vous produisez un documentaire du Pacifique, qu’est ce qui vous a poussée à le faire ?
J’ai trouvé l’histoire extraordinaire, elle m’a beaucoup émue. Au départ, je travaille beaucoup sur la colonisation mais dans cette histoire, ce qui était stupéfiant et consternant est que la colonnisation ait duré jusque dans les années 70. C’est donc très récent, c’est ce scandale là qui m’a extrêmement touchée. Il fallait donc absolument que le monde connaisse ce sujet, alors quoi de mieux que de faire un film ! Et je crois que c’est finalement l’un des films les plus émouvants que j’ai produits, sa qualité de parole et humaine dépasse mes autres documentaires. Je pense qu’il est réussi car il touche tout les publics, polynésien comme parisien, il a un aspect universel.
Le documentaire revient sur une histoire qui jusqu’alors n’a jamais été racontée, quelles ont été les difficultés de tournage ?
C’est une association travaillant sur la mémoire et l’histoire de l’île de Pâques, qui est venue me voir. Depuis des années, elle tente de faire émerger la parole des anciens de l’île et de faire raconter cette histoire douloureuse de la colonisation chilienne. Ces anciens sont les derniers témoins vivants de cette histoire. Cela a donc été très compliqué pour les réalisateurs qui ont dû au départ faire face à des murs, les anciens ne voulaient pas raconter. Ils n’avaient pas envie de remuer un passé douloureux, certains étaient encore trop émus, d’autres refusaient par pudeur ou parfois sous la pression. Il y a également ce rapport aujourd’hui avec le Chili qui paye sa culpabilité en versant beaucoup d’argent à l’île de Pâques. Les réalisateurs ont eu beaucoup de temps d’approche et ont parfois passé des heures à chercher. Finalement, et notamment grâce à l’association, les langues se sont déliées, les anciens nous ont fait confiance et se sont livrés. Pour la plupart d’entre eux, c’était la première fois qu’ils racontaient ça, c’était extrêment émouvant. L’équipe a dû également faire un travail de vérification car l’histoire n’existe nulle part, même pas dans les livres. Ils sont allés à la rencontre d’historiens pour recouper tous ces témoignages et vérifier les dates.
Avec un sujet sensible et nouveau comme celui-ci, est ce que cela a été difficile de trouver des diffuseurs ?
Oui. En France, si on parle de l’île de Pâques sans parler des Moaï, cela n’intéresse personne. Notre sujet est derrière la carte postale et nous ne voulions pas parler de la carte postale. Du coup, je me suis confrontée à des murs dans les chaînes de télévision, on me renvoyait sans arrêt vers les uns ou les autres sans jamais avoir de réponses positives. C’est finalement France Ô et Outremer 1ère qui ont cru au sujet et lui ont permis d’exister. Pour cela je les remercie. On a donc eu peu de financement, nous avons réussi à réunir seulement 125.000 euros. Du coup, faute de moyen, l’équipe est restée seulement trois semaines sur place, on aurait aimé rester plus sur l’île et avoir plus d’images d’archives. Tout était très serré. D’ailleurs, l’équipe a dû faire un énorme travail de montage pour camoufler le manque d’images. Chaque plan a été utilisé, tous les rush sont dans le film. Mais au final, même si le financement n’a pas été extraordinaire, on s’est débrouillé avec les moyens du bord et aujourd’hui le film existe, c’est bien là l’essentiel ! Pour les témoins, c’était important. Ceux qui ont pu le voir en sont fiers. Mais maintenant que l’histoire est dite et écrite, ils veulent tourner la page et passer passer à autre chose.
Est-il important de montrer un tel film ici au FIFO ?
Bien sûr. Le film prend tout son sens au FIFO, il a une capacité à être mieux compris, il touche sans doute plus en profondeur le public polynésien qu’européen. Ici, on sent bien que les gens se sentent concernés par le film, à la différence du public parisien par exemple. J’ai été agréablement surprise de voir que des personnes avaient entendu parler de cette histoire complètement inconnue ailleurs dans le monde, les gens en Polynésie ont un rapport avec le sujet. Il y a donc une vraie dimension humaine et pas seulement historique. Le FIFO nous permet aussi de créer des liens avec des diffuseurs potentiels. J’ai déjà quelques promesses ou en tout cas des intérêts forts autour de notre film, j’espère que cela ne s’arrêtera pas là !